Perversion et paranoïa

(2016). Chapitre 4. Perversion et paranoïa. Dans : , A. Bilheran, Psychopathologie de la paranoïa (pp. 151-174). Paris: Dunod.

Pour éviter toute confusion, la distinction entre perversion et paranoïaques est absolument nécessaire.

2 Aujourd’hui, trop de patients viennent en consultation pour désigner un conjoint, un parent, etc. comme pervers, alors qu’il s’agit en réalité d’un paranoïaque.

3 Pourquoi le diagnostic est-il fondamental ?

4 Car, si tous les paranoïaques sont pervers, tous les pervers ne sont pas paranoïaques. Le degré de dangerosité n’est pas le même.

5 Lorsqu’un paranoïaque « perd » l’être aimé, au travers d’une rupture par exemple, il existe de sérieux risques de passage à l’acte, contre lui-même mais aussi contre le conjoint et les enfants (meurtres, enlèvements, etc.).

6 Dans la perversion, les enjeux sont moindres, en tout cas, ils ne sont pas ceux du rapt, du meurtre, de l’angoisse telle qu’il vaut mieux tuer pour ne pas perdre que de perdre.

7 À cette étape du raisonnement, il s’agit de donner quelques éléments de repérage diagnostique, avant d’évoquer ce qui lie et délie ces deux pathologies.

1. La perversion : éléments de définition

1.1. Perversion et détournement

8 La perversion signifie, étymologiquement, ce qui est détourné de son but.

9 Nous pouvons entendre ici clairement le problème, puisque la perversion veut dire, ni plus ni moins, au niveau psychopathologique, ce qui détourne la sexualité de son but.

10 Ainsi, le pervers nie que la sexualité soit œuvre créatrice et fécondatrice, nie l’altérité de l’autre sexe, l’entièreté de l’autre, qui est alors réduit à n’être qu’un instrument ou une fonction, parcellisé en « pied » ou en « cheveux » (fétichisme). La négation de l’altérité concerne également la différence des sexes, qui est niée, le féminin étant, la plupart du temps, méprisé, broyé, humilié, diminué.

11 La jouissance obtenue n’est ni partagée ni créatrice pour chacun : elle est sadique et destructrice.

12 Le pervers prend tout et ne partage pas.

13 Il capture ce qui est sain et constructif, pour le dévier, le détourner, le salir et le détruire.

14 La loi symbolique est déviée. C’est ainsi que le psychanalyste Racamier estimait que l’incestuel était du ressort de la perversion, et que le contraire de la perversion se nichait dans le complexe d’Œdipe. Car la loi symbolique est posée par la fonction paternelle, qui structure les interdits du meurtre et de l’inceste, et cette loi symbolique, ce père protecteur, s’inscrit dans le complexe d’Œdipe.

15 À l’inverse, la confusion des rôles, des genres, des générations, l’absence de loi symbolique ou son détournement, relèvent de la perversion, et c’est bien là que l’on retrouve la dimension incestuelle, c’est-à-dire l’exposition de l’enfant à la sexualité adulte.

16 En somme, la perversion détourne, dévie et, ce faisant abuse, capture et jouit avec sadisme.

17 Elle est le contraire d’un pouvoir exercé avec autorité, d’une fonction parentale protectrice, fondée sur le tiers et le respect de l’altérité.

1.2. Perversion et jouissance dans l’instrumentalisation

18 Dans la perversion, il s’agit de détourner la sexualité de son but et de ses moyens.

19 L’autre n’est plus une fin, il est un moyen de la jouissance, celle, précisément, de l’assujettir à l’état de moyen. La création de jouissance est obtenue dans la destruction de l’autre et, pour ce faire, d’autres peuvent être instrumentalisés encore, mais aussi des institutions.

20 Par exemple, le pervers se délectera de détourner la loi et de mobiliser à son profit toute l’énergie des institutions.

21 Dans la perversion règnent contrôle, sadisme et instrumentalisation, une façon principalement inconsciente d’exploiter et de manipuler les êtres à sa seule convenance et dans un manque total de reconnaissance et de considération pour leurs besoins.

22 La jouissance réside dans le fait d’instrumentaliser et de détourner la loi symbolique, mais aussi de le faire de façon dissimulée, en affichant une image sociale singulièrement parfaite et irréprochable.

Quand un signalement tourne à l’avantage du pervers

Jérémy est un enfant âgé de 10 ans qui, au terme de plusieurs consultations, indique que son père le frappe. Il présente des traces de coups. Un signalement est mis en œuvre, mais le père parvient sans difficulté à retourner la situation.
De fait, ce dernier exerce une forte emprise sur la mère qui, si elle appuie d’abord les déclarations de son fils pour avoir été elle-même témoin de scènes de coups, se rétracte ensuite sous l’intimidation de son mari. Le père invoque ces psychologues qui « voient des maltraitances partout », parle d’un fils désobéissant et une mère laxiste, qui nécessitent « l’autorité d’un père », fait de beaux discours sur la paternité, séduit une assistante sociale et lui fait même des avances.
Il parle de son travail, de sa réussite professionnelle, donnant à fantasmer sa « puissance ».
Il évoque le préjudice grave à son encontre d’un tel signalement, d’ailleurs il envisage bien de porter plainte contre la psychologue (ce qu’il ne fera jamais), pour rétablir ses droits.
Il se clame victime et innocent ! Et bien sûr, il dit attendre que les professionnels sérieux de la protection de l’enfance le rétablissent dans ses droits fondamentaux !
Il rappelle son investissement en tant que père pour enfin faire régner un « cadre » dans cette famille.
On ne peut pas lui reprocher d’être père face à un fils désobéissant n’est-ce pas ?
La police des mineurs abonde dans son sens et gronde l’enfant.
Et puis, sa femme le délaisse depuis tant d’années, lui qui a tant d’amour pour elle, ce père ne comprend pas pourquoi elle veut divorcer (alors qu’il la maltraite quotidiennement) et il suppose que la psychologue à l’origine du signalement a exercé une manipulation sur elle, qui est si fragile. Il suggère d’ailleurs au passage que sa femme est précisément fragile car elle a subi des violences sexuelles lorsqu’elle était mineure. Il se garde bien d’évoquer que ces violences ont été incestueuses, de la part du père de sa femme, et recontacte d’ailleurs ce dernier au même moment, pour exercer une pression psychologique sur elle. Si elle parle, il aidera le grand-père de Jérémy à avoir un droit de visite auprès de l’enfant, ce qui ne manque pas d’angoisser terriblement la maman…
Et puis, son psychiatre lui a d’ailleurs dit qu’une fessée n’était pas une maltraitance de l’enfant, et oui, une fois, il lui a donné une fessée. Son psy est d’ailleurs PSYCHIATRE, et non psychologue, cela fait toute une différence de compétences, n’est-ce pas ?
Et ainsi, tout le monde finit par oublier la parole de l’enfant, les bleus, les coups de ceinture et de cravache, la terreur de l’enfant. La mère, sous emprise, lâche la situation, et l’institution abonde dans le sens du père qui se retrouve avec l’enfant en garde totale.
Le déni institutionnel opère et personne n’a jamais pensé à interroger la psychologue à l’origine du signalement. Les symptômes de l’enfant traumatisé se sont aggravés puisqu’il n’a jamais été entendu et, au contraire, a été davantage exposé à son agresseur au cours des mois de procédure. Face à l’absence de soutien institutionnel et aux représailles de son père, l’enfant a fini par se taire. Désormais, l’enfant, en garde totale chez le père, se flagelle lui-même à coups de ceinture mais cela, personne ne veut l’entendre ni ne s’en préoccupe désormais.

2. Dénominateurs communs

23 Entre la paranoïa et la perversion narcissique, nous n’aurons pas de peine à trouver des points communs.

2.1. Manipulation et instrumentalisation comme dénominateurs communs

24 La manipulation (à distinguer de l’influence, que tout le monde peut être conduit à pratiquer) vise à modifier le désir d’autrui, afin d’obtenir quelque chose de lui sans qu’il s’en aperçoive et ce, jusqu’au contrôle psychique, au lavage de cerveau. La personne agit et pense dans une sorte d’état modifié de conscience, elle est sous emprise. Ceci est commun à la perversion comme au harcèlement.

25 La manipulation se distingue de l’influence car elle cherche à déposséder autrui de son libre arbitre, à l’insu de la personne, de façon cachée, dissimulée. Il ne s’agit pas de suggérer mais de contraindre, de déposséder autrui de son libre arbitre. Perversion et paranoïa ciblent leur proie de façon durable, et la manipulent pour la soumettre. Des personnes peuvent être instrumentalisées, pour nuire davantage à la victime.

2.2. La démesure narcissique et l’observation prédatrice

26 Au demeurant, perversion narcissique et paranoïa sont apparentées par la démesure narcissique qui fait de ces pathologies des prédatrices de victimes.

27 Emprise et contrôle sont le maître mot, soit par simple jouissance (perversion), soit par un tel sentiment de persécution qu’il s’agit de tuer avant que d’être tué (paranoïa).

28 Aucune remise en question non plus dans ces deux pathologies, les seuls doutes étant ceux que le paranoïaque nourrira sur la fiabilité d’autrui, qu’il fera en sorte de disqualifier quoi qu’il en soit.

29 Le point de ressemblance réside dans une exorbitante exigence narcissique, et dans la précision de leur observation prédatrice.

30 Tout d’abord, cette exigence narcissique se traduit par la mise en œuvre de la séduction incontournable du paranoïaque comme du pervers.

31 Maris fabuleux, bons pères de famille, sacro-saintes mères… ces profils excellent à donner à l’autre ce qu’il attend de son idéal. Ceci est particulièrement efficace avec les institutions.

32 C’est ainsi qu’opère la « capture » des professionnels, qui ne peuvent par exemple concevoir comment cet homme si bien sous tous rapports, propre sur lui, grand professionnel des affaires, poli, courtois, etc., puisse dans le même temps être ce père incestueux, ce mari violent, etc.

33 Ensuite, l’observation prédatrice est méticuleuse ; rien n’est laissé au hasard : il s’agit de repérer les points faibles d’autrui pour le mettre à terre. Ce repérage peut même être d’ordre très instinctif.

2.3. L’opinion pour seule vérité

34 Avec ces deux profils, la vérité n’existe pas.

35 L’histoire est toujours réécrite à la faveur de son propre avantage, et de ce que le sujet supposera qu’autrui désire entendre pour nourrir une excellente image à son encontre. La vérité est systématiquement déformée ; elle n’est pas une valeur en soi, n’a pas d’existence propre en dehors du désir du sujet.

36 Néanmoins, là encore, il existe une petite divergence, dans le maniement de la vérité.

37 Chez le pervers, le récit peut varier de forme selon les circonstances, être réécrit selon les besoins du moment, selon la personne en face…, tandis que chez le paranoïaque, la vérité est réécrite, réaménagée, soumise à interprétation, puis figée dans un récit logique et en apparence implacable. Les êtres se voient attribuer des propos et des rôles qu’ils n’ont pas tenus ; les traces et éléments gênants sont effacés, etc.

38 Avec le pervers, la vérité est versatile, aménagée et instrumentalisée.

39 Avec le paranoïaque, la vérité est celle qu’édicte le sujet. Elle est dogme. Peu importe qu’elle ait un rapport ou non avec les faits. Son opinion, son interprétation du réel est en soi vérité, et le sujet n’en tolérera aucune autre.

2.4. L’intention de nuire et conscience des actes

40 Pervers et paranoïaques ne rendent aucun compte à personne, ne reconnaissent ni erreurs ni torts ni doutes.

41 Ils peuvent feindre d’être victimes, d’apitoyer autrui, mais pour mieux le manipuler.

42 Dans ces pathologies, l’intention de nuire est bien présente, et elle vise la dignité de la personne ciblée. L’autre est d’abord vécu comme un objet de jouissance.

43 Pour arriver à leurs fins, ces pathologies usent de stratagèmes, de stratégie et de manipulation.

44 Ces profils ont donc conscience de leurs actes.

45 Mais s’il existe une conscience intellectuelle, en revanche, elle peut être totalement dissociée de la conscience émotionnelle. Par exemple, il arrive que des sujets pédophiles indiquent avoir conscience d’avoir eu des attouchements sur des enfants, mais qu’émotionnellement, ils raccrochent ces gestes à de « l’amour », à un « partage » de sentiments, sans éprouver le moins du monde, par stratégie défensive, la souffrance psychique vécue par ces enfants.

46 Toutefois, il existe clairement de grandes divergences entre ces deux catégories de la nosographie, faisant de la paranoïa une pathologie très nettement plus dangereuse, car plus saturée de déni, de haine et de destructivité, encline au délire et érigée en bastion défensif.

2.5. Intimidation versus menace

47 Le pervers tentera d’intimider, tandis que le paranoïaque menacera, de façon plus implicite et voilée.

48 Dans la paranoïa, l’on retrouvera le délire de persécution, la théorie du complot, les idées mythomanes et mégalomanes.

2.6. Instrumentalisation ou négation

49 Tandis que le pervers instrumentalise l’autre, la paranoïa le nie dans sa totalité. Cette divergence est fondamentale.

50 Le pervers reconnaît une forme d’altérité en instrumentalisant l’autre : c’est-à-dire que, a minima, l’autre peut exister, pourvu qu’il n’existe qu’en tant qu’instrument, outil.

51 Dans la paranoïa, l’autre n’existe pas. Soit il est collé à soi, vécu comme faisant partie du même corps/clan, soit il n’a pas le droit d’exister. Même pas en tant qu’instrument.

52 Il doit être éliminé, comme un parasite gênant et, pour ce faire, tous les stratagèmes seront acceptés, dans la mesure où il s’agit de ce qui sera vécu comme une insulte, une menace, un risque de mort.

53 Ce collage est un élément fondamental de l’angoisse de désintégration, de type psychotique, qui caractérise le paranoïaque.

54 Tout espace tiers est condamné : pas de doute, pas de fantasme, pas d’imaginaire, pas de rêve. Aucune hallucination au niveau du délire ! La logique règne en maître, une logique autant implacable qu’absurde, fondé sur des sophismes, sur une irrationalité qui n’apparaît qu’à celui qui prend le temps de l’étudier dans le détail.

55 Le paranoïaque déstabilise, car il paraît sûr de lui, aussi sûr que l’est son déni.

56 Ainsi, la perversion dira « Moi, mon intérêt, ma jouissance, et l’autre comme outil » (l’autre pouvant être, également, la Loi).

57 Alors que la paranoïa dira « Moi, ma survie, Moi, et aucun autre. La Loi, c’est Moi » (et c’est ainsi que le paranoïaque pensera toujours que la justice lui sera favorable).

58 Dans les deux cas, il n’y a pas d’espace autorisé pour l’existence d’un tiers.

59 Dans la perversion, vous avez le droit de vivre pourvu que vous acceptiez de perdre votre libre arbitre et votre désir propre, pour servir d’instrument.

60 Dans la paranoïa, vous devez renoncer à tout ce qui vous constitue pour être avalé dans la folie paranoïaque. Ainsi, vous aurez peut-être une chance d’être épargné.

61 La paranoïa se nourrit de la haine et de la manipulation érotisée des institutions, et notamment, de l’institution juridique. Tout est organisé autour du complot supposé d’autrui à son encontre, alors qu’en réalité, c’est bien le paranoïaque qui crée sans arrêt de nouveaux complots. Ainsi, la paranoïa est bien la pathologie maîtresse du pouvoir politique, pathologie créatrice de complots dont elle attribuera l’origine à d’autres, ce qui justifiera des interventions supposées de « légitimes défenses ».

3. Perversion et paranoïa : quelles différences ?

3.1. Persécution et rigidité

62 La différence essentielle entre perversion et paranoïa réside dans le fait que la paranoïa vit de la persécution et d’une rigidité majeure qui s’inscrivent en structure des processus pervers.

63 Pathologie tout autant narcissique, la paranoïa est néanmoins beaucoup plus grave que la perversion car il s’agit d’une psychose érigée en système, pour lutter contre l’angoisse de dépression et de perte.

64 Cette angoisse est majeure, soit de type paranoïde, avec angoisse de dissolution de l’être, soit de type dépressive, avec angoisse de deuil et de perte d’objet.

65 La paranoïa majore donc la perversion narcissique d’un délire de persécution et d’une rigidité bien plus massive. En outre, la paranoïa est la pathologie maîtresse du harcèlement, et sur ce point, je renvoie au chapitre qui y est consacré.

66 Il est certain que la rigidité de la paranoïa engendre des situations inextricables sur le long terme, en général avec des procédures juridiques interminables, alors qu’avec la perversion, l’objet affectif peut varier. Le pervers se lassera à l’endroit où le paranoïaque poursuivra avec ténacité.

3.2. Emprise ou « contagion délirante » ?

La perversion et son œuvre : l’emprise groupale

67 Le pervers jouira de prendre le contrôle de l’institution et des personnes, pour les activer comme des marionnettes selon son bon-vouloir, son désir et son intérêt du moment.

68 Souvent, le pervers instrumentalisera l’institution contre la victime, et l’institution sera donc complice de la mise à mort de la victime, sans se rendre compte qu’elle est instrumentalisée à des fins de toute-puissance et de contrôle.

69 L’art de la perversion est celui de l’emprise, qui consiste à capturer, par le biais de la manipulation, l’énergie psychique d’autrui, pour le vider de sa substance vitale.

70 Rappelons que le manipulateur est celui qui n’a pas le pouvoir et est obligé d’influencer les décisions d’autrui pour obtenir ce qu’il désire.

71 L’emprise consiste à manipuler pour prendre le pouvoir psychologique sur une autre personne, qui sera d’autant plus convoitée qu’elle dispose d’un fort pouvoir personnel et d’une grande autonomie psychique.

La « contagion délirante », sceau de la paranoïa

72 Dans la paranoïa, l’institution sera vécue sur le mode du collage, d’autant que le délire paranoïaque se révèle contagieux. Dès lors, l’institution mal structurée peut elle-même se laisser infiltrer par le délire, jusqu’à se soumettre et s’asservir pieds et poings liés au bon désir du paranoïaque, et ce, sans s’en apercevoir, et en croyant défendre un pauvre parent malheureux et victime d’une grave injustice avec les accusations à son encontre.

73 Parfois, et dans la mesure où la paranoïa comporte une dimension procédurière et interprétative de la loi, l’institution peut en arriver à oublier les process légaux, et à elle-même se mettre en faute. Tout en prétendant être neutre, elle ne respecte par exemple plus le secret professionnel, fait passer la dimension civile avant la dimension pénale, etc.

74 Lasègue et Falret indiquent notamment que, pour qu’un délire soit contagieux, il faut la participation de celui qui est soumis à la contagion : « Celui qui est soumis à la “contagion” présente trois caractéristiques : la première, être d’une intelligence faible, mieux disposée à la docilité passive qu’à l’émancipation ; la seconde, qu’il vive en relation constante avec le malade ; la troisième, qu’il soit engagé par l’appât d’un intérêt personnel » (p. 346).

75 Le délirant est l’élément actif, intelligent, qui impose progressivement son délire au second. C’est alors que le délire leur devient peu à peu commun.

76 Et malheureusement, nous observons, surtout avec les paranoïaques, des phénomènes de contagion du délire. Cela interroge, entre autres choses, la dimension voyeuriste de certains professionnels qui peuvent vivre un intérêt personnel et une fascination face à l’aplomb, à l’emprise, et à la domination des profils pervers comme paranoïaques.

77 Dans le délire à deux, le sujet contagioné, généralement d’intelligence inférieure, reconnaît assez rapidement l’inanité de ses conceptions, lorsqu’il est éloigné du délirant.

4. Une différence de degré ou de nature ?

78 Dans la nosographie, il est de tradition de poser une différence de nature, et non de simple degré, entre la perversion et la paranoïa. Il est certain qu’avec la paranoïa, le contrôle de la perversion se fige dans une persécution délirante fondée sur une angoisse de type psychotique.

79 Cette différence de nature n’exclut en aucun cas une différence de degré, de la perversion à la paranoïa.

80 Si la perversion peut exister sans paranoïa, la paranoïa[1][1]Du moins, la paranoïa de caractère. ne peut exister sans perversion, car instrumentaliser autrui est le minimum requis pour avoir la garantie de le « neutraliser » dans sa potentielle puissance d’une supposée agression.

81 Il n’est en revanche pas rare que des profils pervers finissent par décompenser sur un mode paranoïaque, tandis que les profils paranoïaques usent toujours de perversion.

82 À ce sujet, il me semble fondamental de bien se rappeler que les profils paranoïaques que l’on rencontre en hôpital psychiatrique ne sont pas des paranoïas de caractère, puisqu’ils ont par là même « échoué » à conserver avec efficacité la fonction défensive de la paranoïa.

83 Le seuil défensif s’étant amoindri, la décompensation se réalise souvent sur un mode dépressif, démontrant alors l’impuissance de la « sentinelle intérieure » (méfiance, contrôle, espionnage, etc.) à garantir le sujet de toute agression.

84 Pour la perversion, l’enfant est un objet, un instrument de son propre désir, celui-ci pouvant viser à détruire l’autre.

85 Pour la paranoïa, l’enfant lui appartient comme prolongement de son propre corps, comme une excroissance personnelle, un polype…

Instrumentalisation ou engloutissement

Prenons le cas des incestes sur mineurs, pour distinguer perversion et paranoïa.
Dans la perversion, l’enfant est considéré comme objet de jouissance, à qui le pervers attribuera, d’ailleurs, la culpabilité de l’acte : l’enfant l’avait séduit…
Souvent, l’agression sexuelle est utilisée pour nuire à l’autre parent, au travers de l’enfant.
Le parent pervers violera l’enfant et s’arrangera pour que l’autre parent, la majorité du temps, la mère (il faut rappeler, oui, que les agressions sur mineurs et les viols sont essentiellement commis par des hommes), soit au courant et en devienne malade. Il lui fera passer le message qu’il est tout puissant, et qu’il recommencera, la jouissance résidant à la fois dans l’utilisation de l’enfant comme objet de consommation sexuelle, et dans le pouvoir de susciter une angoisse massive chez l’autre parent.
En revanche, avec le parent paranoïaque, l’enfant n’est même plus instrumentalisé, il est avalé, phagocyté dans le délire et se voit attribuer un rôle, des intentions, qui servent les pseudo-valeurs que le paranoïaque se plaît à invoquer (liberté, justice…) pour mieux les renverser. Le retournement de culpabilité contre la victime est bien plus violent encore, car le paranoïaque réécrit l’histoire, quand il n’est pas dans le déni : non seulement l’enfant l’a séduit, mais c’est en réalité une histoire d’amour entre l’enfant et lui, et puis l’enfant, pourquoi ne serait-il pas libre de son désir, quelle est cette société répressive et pudibonde qui vient entraver la liberté de l’enfant ?

5. rapport à soi, à l’autre et social

5.1. Le rapport à soi et à l’autre

86 Dans la perversion, l’autre est un objet, et le pervers justifiera rationnellement son utilisation.

87 Les rapports humains sont monnayés en rapport d’objets, et subissent la désaffectivation, le calcul et la froideur de la perversion.

Rationalisation perverse

« C’est que rien n’est affreux en libertinage, parce que tout ce que le libertinage inspire l’est également par la nature : les actions les plus extraordinaires, les plus bizarres, celles qui paraissent choquer le plus évidemment toutes les lois, toutes les institutions humaines […], celles-là mêmes ne sont point affreuses : et il n’en est pas une d’elles qui ne puisse se démontrer dans la nature [2]. »

88 Dans la paranoïa, il y a comme une « capture » directe de l’inconscient d’autrui.

89 Le paranoïaque capte magnifiquement bien l’inconscient de l’autre, ce qu’il ne dit pas, ce qu’il ne se formule même pas à lui-même et qui, pourtant, est bien là.

90 Par exemple, dans la jalousie pathologique, le paranoïaque sait repérer les soupçons de désir, même là où l’autre ne les conscientise pas, et ne commettrait jamais un adultère.

91 Cette capture de l’inconscient empêche tout espace tiers, précisément cet espace de l’intime où l’on peut avoir des pensées, des ressentis, parfois contradictoires, parfois ambivalents, qui seront traités comme des conflits psychiques, des zones de remises en question qui ne concernent que soi-même.

92 Or, le paranoïaque absorbe tout cela et le prend « au pied de la lettre ».

93 S’il capte le moindre signe de questionnement que vous pouvez avoir à son égard, alors vous basculerez dans la catégorie du « pas fiable », et ensuite, de « l’ennemi ».

94 Tellement occupé à se défendre des dangers du monde, le paranoïaque peut même induire ce qui n’existera jamais en vous au niveau conscient, le moindre avorton de pensée ou d’émotion qui ne viendrait jamais à la surface de la conscience. Et de là, il en déduit une menace pour sa survie, menace dont il lui faudra bien évidemment se protéger.

95 Son vécu intérieur est agonistique, terrorisant. Le paranoïaque se défend contre la désintégration. Et pour se brandir, pour s’ériger, il utilise l’énergie de la haine, de la destruction, de la colère, et y place toute sa volonté.

96 Avec lui, c’est « vaincre ou mourir », vaincre même l’ennemi imaginaire, celui qu’on s’est construit, celui pour lequel on a éprouvé aussi de l’affection, tant l’amour est confondu avec la haine dans cette pathologie. L’autre, pour être vécu comme fiable, doit être totalement maîtrisé, sous contrôle, surtout psychique. Toute tentative d’autonomisation, d’indépendance et de rébellion, parce qu’elle entraînera une forme de vide interne, assorti d’une terreur de type agonistique, sera vécue comme une trahison qu’il est impensable de laisser passer, et qui nourrira la rancune du paranoïaque.

5.2. La société perverse

97 La société perverse transforme les rapports humains en des rapports d’objets, désincarnés, désaffectivés… C’est la société de l’humain interchangeable, où seuls les rapports de type monétaire sont sacralisés. La perversion institutionnalise, par une logique et une rationalité implacables, le règne de l’instrumentalisation efficace : programmes, plans, indicateurs de type quantitatif, modèles de gestion auxquels la réalité doit s’intégrer, tout simplement, parce que c’est « logique ». Ainsi, d’après ses calculs si, pour la croissance de l’entreprise, il faut réduire 20 % des effectifs, alors ce sera fait, par la persuasion ou la force. Les conséquences humaines n’importent pas aux pervers. Tout est minutieusement calculé dans ses moindres détails, le programme doit être suivi à la lettre. Il est bon et souhaitable parce qu’il est « logique ». L’imprévu, la créativité humaine, l’initiative personnelle ne sont pas tolérés. Les humains sous le programme pervers sont priés de s’adapter.

98 Le savoir pervers est celui de la logique, de l’expérimentation, de la vérification scientifique. Le désir d’autrui lui importe peu, pire, il n’existe pas, il n’est pas question de le considérer (si l’on regarde la littérature libertine, tout est rapporté à une pseudo-logique de la nature, dans un raisonnement qui évacue la question du désir, de l’altérité et de l’affectivité, pour y substituer un discours de l’expérimentation scientifique). Le pervers définit les besoins de chacun, le type de production et de consommation, son genre de vie, ses horaires de travail, etc. Dans son discours, il est le garant du progrès et se charge de cela pour tous. Il contrôle l’information, et empêche que surgissent toute subjectivité, toute décision, toute pensée, toute émotion qu’il n’a pas prévues et dont il n’est pas maître. Les autres doivent s’aliéner à l’idéologie de la logique sèche.

99 La perversion excelle dans le maniement de l’instrument pour établir le programme (souvent édicté par le paranoïaque) : ritualisation de techniques sadiques, techniques agressives et manipulatrices, études toutes plus objectivantes les unes que les autres (réduction des coûts, étude de marché…), développement de la technologie au service du programme, etc. Dans ce contexte, les humains doivent être des objets inertes, manipulables, standardisés, qui obéissent aux normes et se plient aux techniques. Tous sont remplaçables et permutables. L’histoire des individus n’existe pas, leur subjectivité non plus, la moindre faille ou, a contrario, le moindre éclair de génie, non plus. Les humains sont des troupes à utiliser, à presser au maximum de leur efficacité, et quand ils deviennent défaillants, il s’agit de les remplacer. Les salariés sont remplacés dans l’entreprise, les soldats sont remplacés dans l’armée… Le rapport est sadomasochiste, l’autre est instrument de jouissance, de consommation, ou marchandise vouée à l’obsolescence programmée. La perversion est agent de la castration pour l’autre ou bien, en dévoilant à autrui son impuissance, il l’anime.

100 La société perverse se fonde sur le contrôle total des moyens, des instruments : contrôle total de l’information, égalité abrasant tout désir et toute différenciation, et s’apparentant à une uniformisation conformiste. Elle donne l’illusion du changement, de l’agilité, de la souplesse, la promet, alors qu’il ne s’agit que d’un programme de plus dans l’application du contrôle pervers. Elle contrôle jusqu’au moindre comportement, tentant même d’infléchir les comportements par la technique, jusqu’à en faire des rituels tout aussi ordonnés qu’ils sont absurdes.

101 Les humains sont des choses, avec un bon moment pour l’exploitation et une date d’obsolescence. Ainsi, il sera commun dans la pensée perverse d’utiliser au maximum les ressources de jeunes salariés, et de les délaisser lorsqu’ils commenceront à s’user.

102 Le pouvoir pervers est froid, sans affectivité, sans culpabilité. C’est le pur pouvoir de la logique desséchée, exempte de culpabilité (qui est de l’ordre du sentiment, donc non considérée), exempte de passion, de l’exécutif consciencieux, qui trouve normal de mettre n’importe quel moyen (et en particulier ce qui n’est pas un moyen) au service de la fin. Le pervers est ce « bureaucrate qui ne fit que s’asseoir derrière son bureau et accomplir son travail » [3][3]Arendt, H. 1963. Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité…, voulant réaliser, du mieux qu’il pouvait, ce que ses supérieurs lui avaient demandé (la mise en œuvre de la résolution finale). Le monde pervers, c’est celui de la raison tranquille, assurée d’elle-même, de la « banalité du mal ».

103 C’est aussi par voie de conséquence, un monde sans procréation, sans réelle innovation (sinon que de façade), sans art. Car procréer, c’est entrer dans l’histoire, dans la temporalité de la filiation, dans l’œuvre qui perdure à travers les générations. Or l’histoire est une menace pour le pervers, car elle peut être faite d’événements imprévisibles, non planifiables. Seuls le savoir (et non la sagesse), la raison intemporelle, la vérité, la connaissance (autrement dit la maîtrise) doivent gouverner les rapports des hommes entre eux.

104 Ce gouvernement se fera sous des formes moins despotiques que dans le cas du pouvoir paranoïaque. Moins despotiques, et moins passionnelles aussi. Le pouvoir pervers vise le conformisme, l’uniformité, l’absence de conflits, la suppression de toute initiative ou différence non maîtrisée.

5.3. L’alliance de la perversion et de la paranoïa

105 Au-delà de ces éléments différenciateurs, perversion et paranoïa sont toutes deux des sociétés de la plénitude, du refus de la castration et du manque qui visent à supprimer toutes les zones d’ombres et toutes les interrogations. Or, nous savons bien (depuis les mythes de la femme sans ombre et de Parsifal), que la suppression de l’ombre, la suspension des interrogations, c’est l’instauration d’un monde froid, stérile et qui va à la destruction : The Waste Land, la Terre Gaste.

106 La guerre paranoïaque et l’économie perverse font toujours alliance : chaque guerre vise à stimuler l’économie pour ceux qui savent la manier, et l’industrie perverse fournit toujours la logistique de la destruction. La rationalité perverse se met au service du délire paranoïaque, par la gestion industrielle, financière, la logistique, la technocratie, la science et la médecine dénuées de tout questionnement éthique (ex. : l’aide apportée par le grand capital allemand à Hitler, les destructions planifiées par la finance internationale, etc.). En somme, le pouvoir paranoïaque utilise les pervers comme contributeurs parfaits à la réalisation de son délire, et il leur manifeste à cet égard la reconnaissance qui se doit.

107 Quant aux autres, ceux qui sont sous le joug de cette alliance du commandement paranoïaque et de son exécutif pervers, ils doivent se soumettre à l’omnipotence du pouvoir ; aucune initiative individuelle n’est permise, ni aucune différence. Seule la loyauté absolue, impériale, est requise envers le commandement paranoïaque et son exécutif pervers. La pulsion de mort est intégralement à l’œuvre, sous un Surmoi collectif de type archaïque où chacun doit racheter une faute légendaire et se sacrifier pour le pouvoir paranoïaque.

6. Le rapport à l’intime et l’impossible fantasme

108 La différence entre la perversion et la paranoïa peut surtout se lire dans le rapport à l’intime.

109 La perversion intruse l’intime, le déchire, le salit, le laisse sanguinolent, tandis que la paranoïa va plus loin encore, en espionnant l’intime dans ses moindres recoins, sans plus rien lui laisser d’intime, nulle part, avant de porter le coup fatal du meurtre psychique.

110 Or l’intime est le lieu de l’imaginaire, et du fantasme. Dans ces deux pathologies, seul le passage à l’acte prévaut.

111 La paranoïa maximise la perversion, avec persécution, rigidité, mégalomanie, histrionisme, idolâtrie du juridique… Elle est beaucoup plus dangereuse que la perversion, et il n’est pas rare de voir des pervers décompenser ensuite en paranoïa, à la faveur d’événements déstabilisants psychiquement.

112 L’hypothèse clinique que nous pourrions faire tout de même, pour distinguer les deux pathologies, se situe dans la métaphore paternelle, qui s’illustre dans le rapport à la loi. Ainsi, le pervers connaît les lois et les détourne, tandis que pour le paranoïaque, la loi c’est lui (son opinion de ce qui lui semble juste pour lui est la justice). En revanche, le paranoïaque se substitue totalement au père (il est/hait le père tout-puissant), dans un déni du père (et donc, de toute filiation), dans cette forclusion du Nom du Père qu’avait remarquablement analysée Lacan (cf. supra), tandis que le pervers reconnaît le père, il reconnaît son existence mais détourne systématiquement son autorité et invalide sa fonction. Avec le pervers, il est tout de même quelque part question du père, pour le détourner et l’invalider, mais il existe partiellement en dehors du sujet lui-même. Cette existence partielle peut faire songer à la relation d’objet partielle, comme si le père et la loi symbolique étaient en quelque sorte eux-mêmes fétichisés.

113 De cette façon, tout paranoïaque vit dans un sadisme et un masochisme de type archaïque. L’autre n’est ni fétichisé ni instrumentalisé, il est tout simplement avalé, ce dont souffre aussi le paranoïaque. Il faut avaler l’autre, l’intruser avant qu’il ne puisse lui-même intruser. Et c’est bien dans cette souffrance, comme dans cette impuissance première, que s’enracine la haine.

7. La transgression, l’inceste, la pédocriminalité

114 Perversion et paranoïa sont deux pathologies qui déclinent les thèmes de la transgression et de l’inceste.

7.1. La transgression

115 J’ai évoqué une différence dans l’emprise, entre perversion et paranoïa.

116 La perversion me paraît plus évocatrice de l’emprise, car il s’agit de prendre, de s’emparer de quelqu’un et de jouer ensuite avec lui comme une marionnette. L’autre est un jouet extérieur, et la perversion jouit de la souffrance de l’autre, ce qui signifie que le pervers reconnaît au moins la souffrance de l’autre comme souffrance existante [4][4]D’ailleurs, le pervers jouit-il de la souffrance de l’autre ?….

117 Dans la paranoïa, en tant que psychose qui engage une symbiose totale, l’autre n’est pas séparé, même pas partiellement. Il s’agit d’être tout à la fois le père et la mère, d’être même indifférencié, un objet total qui engloutit. Ici, la transgression est totale.

118 Dans la perversion, la transgression est partielle et engendre une jouissance, celle de violer la figure paternelle.

La fidélité paranoïaque

Jean-Marie est paranoïaque. Il ne cesse de tromper son épouse avec de nombreuses femmes, et entretient des relations ambiguës avec ses élèves garçons (il est professeur de lycée). Désireux d’incarner l’objet total, il ne voit aucun problème à tromper sa femme, et à avoir de nombreuses aventures, car il spécifie : « ces aventures durent longtemps, en réalité, je suis fidèle à chacune ».

7.2. L’incestuel et l’incestueux

119 L’inceste est le passage à l’acte transgressif (agressions sexuelles, viols) au sein d’une même famille.

120 L’incestuel est une notion conçue par le psychanalyste Racamier à partir de son travail avec les familles au sein de son institution pour patients psychotiques. Il le définit comme « ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes génitales ». L’incestuel est beaucoup plus archaïque que l’Œdipe qui, quant à lui, met en scène le fantasme de l’inceste et du meurtre : c’est-à-dire que, par le fantasme, se créent une séparation, une coupure, une médiation par l’imaginaire.

121 L’inceste et l’incestuel ne relèvent pas du fantasme mais de l’agir, et en cela, du scénario pervers : « L’inceste n’est pas l’Œdipe, il en est même tout le contraire. »

122 La relation incestuelle se définit comme « une relation extrêmement étroite, indissoluble, entre deux personnes que pourrait unir un inceste et qui cependant ne l’accomplissent pas, mais qui s’en donnent l’équivalent sous une forme apparemment banale et bénigne » [5][5]Racamier, P.C. 1992. Le génie des origines : psychanalyse et…. Il est à noter que cette relation entre parent et enfant peut s’illustrer entre parent et enfant du même sexe, et c’est là que l’on voit bien que la différenciation sexuée de l’Œdipe n’est pas acquise.

123 « L’inceste n’est pas du registre de l’Œdipe, il n’a rien à faire du tabou de l’inceste. Il n’est pas non plus du registre de la castration [6][6]Racamier, P.C. 1995. L’inceste et l’incestuel, Paris, Dunod,…. »

124 Cette dimension incestueuse se retrouve souvent dans les familles qui ne souhaitent pas « se mélanger » aux autres, de peur de perdre une noblesse et/ou la conservation de secrets de famille. Cet enfermement est souvent l’indicateur de psychose familiale, de deuils pathologiques et de manifestations symptomatiques de psychose individuelle, de fragilités psychologiques massives.

L’incestuel en héritage

L’incestuel se traduit souvent dans les questions d’héritage. Au lieu de répartir à égalité l’héritage, le parent va privilégier très nettement l’un de ses deux enfants. Par exemple, telle mère privilégiera l’une de ses filles sur fond de nombreuses assurances vies contractées pour ladite fille, les enfants de cette dernière, son conjoint, etc., tandis que l’autre n’aura que le tiers officiel prévu par la loi. Tel père privilégiera son fils au détriment de sa fille aînée et de l’enfant de cette dernière, en lui expliquant que « c’est inégal, mais légal », et en orchestrant un chantage pour qu’elle accepte et vienne signer une donation-partage chez le notaire, matérialisant son statut d’inférieure dans la fratrie. L’autre enfant, le privilégié, n’est pas aimé pour autant. Il est pris dans cette problématique incestuelle et, le fait d’être privilégié, le rend débiteur, coupable, mais aussi coupable d’une forme de lien affectif de nature transgressive. L’enfant rejeté aura au moins la possibilité d’élaborer ce qui se passe, parce que cela occasionne une souffrance du rejet, de la dévalorisation, de l’absence de reconnaissance, tandis que l’enfant élu dans la problématique incestuelle sera condamné à ne pas pouvoir élaborer, à être dans l’interdit d’élaborer, la culpabilité d’être « objet d’amour » de son parent, et la dette envers sa fratrie. Lorsque le parent favorise tel ou tel enfant, il crée une dette réelle qui entrave toute possibilité de séparation psychique et, pire, de remise en question du parent lui-même.

Le mythe grec de Périandre

C’est l’histoire d’un jeune homme devenu roi, qui tente de s’émanciper de sa mère, mais celle-ci ne l’entend pas ainsi et souhaite conserver l’amour exclusif de son fils. Elle essaie de le séduire, afin qu’il ne puisse jamais se séparer d’elle, et met au point le stratagème suivant : elle lui annonce qu’une femme amoureuse de lui viendrait le rejoindre la nuit dans sa couche et qu’elle serait masquée afin de conserver l’anonymat. La mère séductrice utilise ce subterfuge et, pour séduire son fils, le rejoint dans son lit sans se faire reconnaître. Résolu à percer ce mystère, Périandre découvre alors que cette amante merveilleuse est sa mère. Lui, jeune monarque plein de promesses, devint ensuite un épouvantable tyran.

125 Dans l’inceste, le secret fait alliance avec un déni, déni de la faute, déni de la culpabilité. Ce déni entraîne l’enfant victime de cette conjonction dans cette culpabilité : si Périandre est aveugle c’est parce qu’il le veut bien. L’obscurité dans laquelle l’inceste a lieu symbolise son impossibilité de voir, son déni. Tout inceste fait alliance avec le déni. L’inceste s’effectue sur un fond de deuil impossible à faire, dans une mise en acte, hors psyché, qui vise à éviter toute souffrance psychique liée à la conflictualité.

126 Pour Racamier, la mère de Périande a recours à l’inceste, car elle est incapable de renoncer à la possession exclusive de son fils. Ce deuil est impossible à faire : « Le patient qui couche avec sa mère le fait non parce qu’il la désire mais au contraire pour éviter de la désirer. L’acte pare au fantasme : l’inceste a une fonction, celui de pare-feu libidinal. En exauçant le désir, il vise à le tarir, évacué d’avance le désir sera satisfait sans fantasme. Il ne reste rien à désirer. »

127 « L’incestuel ne résulte d’aucune symbolisation. Il est tout dans l’agir, pas forcément dans le génital de l’inceste, mais plus souvent dans des équivalents d’inceste qui sont des comportements à travers lesquels une relation de nature incestuelle transite [7][7]Racamier, P.C. 1994. Revue française de psychanalyse, 4.. »

128 L’incestuel n’est pas dans le fantasme, il tue le fantasme. Il ne s’image pas, ne se représente pas, ne se fantasme pas. C’est vide et créateur de malaise : « mon père est le grand absent de la thérapie », disait une patiente victime de cette dimension incestuelle. Son père ne lui évoquait qu’une pensée blanche. Pris dans un interdit de dévoiler, un interdit de dire, ces patients victimes d’inceste n’ont rien à dire, se vivent comme vides, et sont prisonniers d’une injonction interne à ne pas parler.

129 L’éprouvé brut remplace le fantasme, lequel est structurant dans le cadre de l’Œdipe [8][8]C’est pour cela qu’une société qui confond fantasme et acte, et… : « il est tout d’une pièce et non ramifié, agissant mais non scénarisé, transmissible mais non communicable, enté sur le corps mais prêt à s’agripper au corps de l’autre ».

130 De plus, dans les familles où sévit l’incestuel, la banalisation tente de faire passer comme naturelles ou normales des situations dans lesquels des liens incestuels, voire incestueux, sont à préserver à tout prix. Les différences générationnelles sont brouillées, et les places sont interchangeables, dans une confusion sévère entre l’espace privé et l’espace public, entre la chambre des parents et la chambre des enfants : le père occupe la position de mère, la mère occupe la position de père, le gendre occupe la position du fils (et peut parfois tout à la fois coucher avec la fille et la mère), l’enfant occupe la position de parent.

131 Des objets peuvent être échangés dans l’incestuel : des vêtements, de l’argent, des bijoux, de la nourriture, voilà tout autant de façon d’entretenir une relation incestuelle à défaut d’entrer dans un inceste. La porte de la chambre à coucher des parents ne ferme pas, les enfants ne sont pas protégés de la sexualité des parents, les personnes ne ferment pas la porte lorsqu’elles vont aux toilettes, etc.

D’homme à homme ?

Prenons l’exemple d’un père avec son fils de 5 ans. Son grand jeu est de faire pipi avec lui dans le lavabo. Régulièrement il lui met des « tapes au cul » lorsque son fils répond, et il lui parle des problèmes de sexualité qu’il rencontre avec sa mère : « Ta mère elle ne veut pas suffisamment, etc. »

132 Les problématiques alimentaires, de type anorexie-boulimie, ont des liens incestuels avec la mère (fonction de parent nourricier), mais aussi avec le père incestueux, et toute transgression de nature sexuelle. La mère, par la nourriture, rencontre le moyen de pénétrer le corps de l’enfant et d’avoir la haute main sur tout ce qui entre et sort de lui. Par le refus alimentaire, l’anorexie, y compris celle du nourrisson, l’enfant tente de se déprendre de cette emprise et de gagner son individualité. Il tente de rejeter hors de lui ce qui n’est pas lui, ce qui est extérieur à lui et l’intruse.

133 Dans la boulimie, il existe une mise en scène de cette intrusion puis de la reprise de possession du corps, par les vomissements, lorsqu’ils ont lieu.

134 Ces problématiques sont autant de réactions à l’indétermination des limites et des différenciations entre les êtres, qui règne dans la famille. S’ouvrir, c’est courir le risque de l’intrusion, se fermer, c’est courir le risque de mourir d’inanition.

135 De même, la mère qui prend plaisir à nourrir tout le monde sans se nourrir elle-même, se nourrit à travers les autres par procuration.

Le cas Schreber et l’incestuel

D’après Racamier, le cas Schreber peut être vu à la lumière de l’incestuel : un lien incestuel extrêmement puissant liait Schreber à son père.
Non seulement le père avait la haute main sur tout ce qui concernait le corps de son fils et ce, avec la complicité maternelle, mais il avait également une prise directe sur son âme au point qu’il est possible d’avancer que le fils réalisait, par son aliénation et son délire, l’homosexualité complètement réprimée de son père. Ainsi, l’incestualité poussée dans ses derniers retranchements peut conduire un fils à agir ou à délirer en lieu et place de son père, lui épargnant la folie.
Les effets traumatiques de l’incestuel sur le fonctionnement psychique individuel sont d’autant plus graves qu’ils ne peuvent s’appuyer sur une mémoire visible (ex. : telle agression).

136 La séduction narcissique de type incestuel est nécessaire, voire vitale, dans les débuts de la vie, entre le bébé et la mère. Réussie, elle doit conduire au deuil originaire où mère et enfant parviennent à se déprendre de leur lien. Il peut arriver que cette relation primaire n’ait pas été suffisamment satisfaisante, et risque alors de déboucher sur un deuil impossible, l’enfant cherchant toujours à recréer le lien incestuel originaire, et c’est bien exactement le cas pour le paranoïaque.

137 Le sexuel n’intervient pas dans la séduction narcissique originaire. L’ordre libidinal dont elle émane est étale, presque uniforme, non pulsionnel. Cette séduction se constitue comme l’antidote du deuil originaire et du fait du développement, elle peut se sexualiser au point de pouvoir se transformer parfois en relation incestueuse. L’incestuel apparaît lorsque le deuil originaire est impossible.

Le deuil originaire

« Le deuil originaire désigne le processus psychique fondamental par lequel le moi, dès ses prémisses, avant même son émergence et jusqu’à la mort, renonce à la possession totale de l’objet, fait son deuil d’un unisson narcissique absolu et d’une constance de l’être indéfinie et par ce deuil même qui fonde ses origines, opère la découverte ou l’invention de l’objet, et par conséquent de soi grâce à l’intériorisation [9]. »

138 Dans la pathologie paranoïaque, l’enfant est vécu comme un organe vital, partie de soi-même, psychiquement et physiquement, jusqu’à former un organisme omnipotent défiant toute autre présence et toute autre loi. L’enfant est enclavé, jamais engendré. Cette relation défie le facteur temps, et empêche toute autonomie de l’enfant qui reste au cœur du giron. Enfin, avec un parent paranoïaque comme un parent pervers, les enfants sont fétichisés dans l’emprise, instrumentalisés comme faire-valoir social.

139 L’incestuel dont des psychanalystes de renom ont parlé est plus archaïque que la perversion sexuelle car la finalité est de ne laisser à l’autre aucune place pour être, tandis que dans la perversion il existe un objet partiel qui est fétichisé.

140 Tous les paranoïaques sont dans l’incestuel, dans le sexuel non sexuel, avec une très forte indifférenciation des êtres sur les plans corporel, psychique et social. C’est bien là qu’est la plus grande destruction de la vie psychique qui soit ou même, son empêchement à devenir subjectivation, vie psychique.

141 L’on retrouvera néanmoins dans les passages à l’acte incestueux (l’inceste génitalisé) davantage de pervers, et encore bien plus dans la pédocriminalité, sauf lorsqu’il s’agit d’entretenir le harcèlement sur l’autre parent, dans des cas de divorce. L’enfant transgressé devient un moyen de chantage et de harcèlement de l’autre parent, et il n’est pas rare que des paranoïaques obtiennent la garde totale de l’enfant qu’ils abusent en stigmatisant le parent protecteur, ce qui interroge d’une part, la dangerosité manipulatrice de cette pathologie, et d’autre part, les carences majeures de la justice et des services de protection de l’enfance en France, notamment en termes de formation en psychopathologie et de posture professionnelle.

L’idole

« Avant tout, la relation incestuelle est une relation narcissique. L’objet incestuel est investi telle une idole. Mais cet investissement n’est pas à perte : l’idole a impérativement pour fonction d’illuminer l’idolâtre en retour. Paré en secret (et ce secret est essentiel) de toutes les qualités qu’on lui prête, l’objet incestuel est ébloui et fasciné, avant que d’être finalement et à tous les sens du terme, confondu. Il incarne un idéal absolu. Il a tous les pouvoirs. Par-dessus tout il ne manque pas d’être paré du pouvoir, même s’il ne l’exerce pas, de procurer au parent la jouissance sexuelle. Fils, amant, et même père (ou fille, maîtresse et même mère), il ou elle sera tout cela et indistinctement. Quel fils, quelle fille résisterait à pareille adulation ? À une telle complétude ? Mais qui, pour finir, ne s’y perdrait pas ? Car on l’a vu, la question de savoir qui dans cette relation admire qui, cette question est plus qu’indécise : elle est biaisée. L’objet incestuel est captif d’une projection narcissique envahissante : il a pour mission profonde et impérative, d’incarner à lui seul les objets internes qui manquent à l’auteur de l’idolâtrie narcissique. Telle mère n’a pas pu connaître et aimer son père ; elle a délaissé et perdu son mari ; elle n’a pas connu sa mère ; il lui en reste un vide intérieur intolérable ; et c’est l’objet incestuel (encore une fois fils, père et amant) qui va, qui peut, qui doit par délégation narcissique incarner ce monde intérieur absent ou dévasté. L’objet incestuel concrétisera donc la projection par cette mère de l’idéalité qui la fait survivre à la place des présences internes qui lui manquent. Quel périple ! Ou, plutôt, quel court-circuit ! Oui : le court-circuit narcissique remplace les trajectoires libidinales. Pour accomplir cette mission glorieuse et impossible, l’objet incestuellement investi doit remplir au moins deux propriétés essentielles :
1) Il ne devrait pas connaître d’autres origines que son investisseur : sa mère, si c’est elle, doit suffire ; certes le géniteur peut-il être exclu dès avant la naissance. Mais s’il reste présent, la mère incestuelle pousse son image au bord du fossé ; telle mère, dans ses propos envers ses enfants, pratiquait l’impasse sur la famille de son mari et ne faisait mention que de la sienne : voilà un père qui ne venait de nulle part ; au demeurant, tellement occupé, ce pauvre homme, qu’on ne pouvait compter sur lui. Voilà de l’antœdipe de bien mauvaise compagnie.
2) L’objet incestuel doit en réalité rester inamovible, immuable. Toujours présent, il devra se tenir incessamment disponible. Qu’il ne s’écarte pas ! Car sa présence extérieure et concrète est là pour pallier les absences intérieures. Il est là, dehors, pour combler un vide au-dedans. Du fait même de cette obligation de présence, la liaison incestuelle restera marquée à tout jamais par l’importance de la proximité physique : les échanges incestuels dépendent étroitement de la distance entre les partenaires et leur intensité sera inversement proportionnelle à cette distance (abolie dans les faits par le téléphone).
Que l’objet incestuel ne se mêle pas non plus de nourrir des intentions personnelles ou des dénis propres ! Non seulement miroir embellissant et source possible de jouissance mais substitut d’absence, et par là même preuve de pérennité, il est fait pour briller et non pour vivre à son compte. En vertu d’un paradoxe qui ne va pas nous surprendre, l’idole ferait peut-être mieux d’être morte : les morts au moins ne se sauvent pas, on les garde, on peut les encenser à loisir ; ils ne risquent pas, à travers les inévitables signes de changement et de faillibilité que l’exercice même de la vie sème dans son sillage, de dénoncer l’idéalité qu’ils incarnent.
C’est ainsi que l’on voit certaines mères incestuelles atteindre une sorte de sérénité ou de sommet lorsque leur objet incestuel a cessé de vivre : ainsi deviennent-elles ces cultivatrices de deuil, de cimetières ou de mausolées que je décrivais dans “le génie des origines”. C’est ainsi que l’objet-non-objet incestuel est interdit de désirs propres ainsi que de valeur narcissique propre. L’autonomie lui est interdite, sous ses diverses formes : autonomie de mouvements, et c’est ainsi que l’objet parfaitement fixé devient catatonique ; autonomie de désirs, et c’est ainsi que l’objet incestuel ne peut “tomber amoureux” sans risquer de crever la peau du narcissisme maternel : autonomie d’action, et c’est ainsi que l’objet incestuel se livre à des essais sans suite ; autonomie de jugement, et c’est ainsi que l’objet incestuel finit par s’abstenir de toute clairvoyance, si ce n’est par éclairs. Bref, s’il est au monde une sorte de relation où le lien libidinal est remplacé par la ligature, et le désir par la contrainte, c’est bien dans la relation narcissique incestuelle. Le contraste entre lien et ligature me paraît tellement essentiel que lui aussi nous le retrouverons à plusieurs reprises dans notre périple. De même retrouverons-nous à plusieurs reprises un trait qui s’impose dès maintenant à notre regard : c’est celui de l’amalgame (confusion). L’objet incestuel reçoit sur la tête, non pas superposées, non pas même condensées, mais complètement amalgamées, des représentations et des fonctions normalement distinctes, mais dont ici la perspective est abolie. Cette production d’amalgame est très particulière et elle fait preuve d’une remarquable et peu résistible puissance [10]. »

Écriture automatique

Avec mes patients, en dehors des séances, je leur suggère de faire beaucoup d’écriture automatique. Voici le résultat de l’une d’entre elles :
« Ensuite je pars, j’essaye de m’éloigner, là je deviens de plus en plus son ennemie à ses yeux, je commence à ressentir des difficultés physiques à être dans la même pièce qu’elle, elle dit que je ne dois plus l’appeler maman, que nous sommes des amies. Que je lui veux du mal, depuis toujours. Elle est de plus en plus méchante, violente, me vole de l’argent, me chasse de chez elle, m’accuse de choses très graves. Jusqu’à ce que j’aie des enfants, elle apprend un mois plus tard qu’elle a un cancer du sein, elle dit qu’elle a un cancer parce qu’elle ne peut pas nourrir mes enfants à ma place puisque je les nourris mal. Elle meurt un an plus tard, disant à tous que c’est parce que je veux la tuer. Elle m’empêche de la voir, écrit des lettres à mes enfants disant qu’ils comprendront plus tard comme je suis méchante, elle décide que je ne sois ni au courant du fait qu’elle est mourante, ni que je puisse l’enterrer, ni que je la voie, ni que j’hérite d’elle. »

7.3. Le délire du vol d’enfant

142 J’ai constaté, lors de plusieurs décompensations délirantes paranoïaques, qu’il est très souvent question de « vol d’enfant ». Je crois que ce sujet mériterait à lui seul des études universitaires très poussées.

143 La paranoïa dévore le bébé comme un objet incorporé (jamais né), tandis que le pervers le fétichise et l’instrumentalise comme un objet partiel.

144 Dans le délire de persécution, l’autre est accusé de vouloir voler les enfants, de les avoir volés, d’en avoir l’intention, etc. C’est-à-dire que le paranoïaque accuse l’autre de vouloir le « décompléter », le « castrer ». Les enfants sont le nœud de la rivalité ; il s’agit de s’approprier l’enfant et, plus que de le séduire (ce qui relève de la perversion), de le capturer psychiquement.

145 J’ai, dans ma clinique, vu plusieurs paranoïaques délirer sur le thème de « on m’a volé un enfant ».

146 Ce point avait déjà été relevé par Lacan dans sa thèse : Aimée accuse sa sœur de lui avoir volé son enfant, et c’est sur la base de ce thème que le délire s’est systématisé, la sœur représentant à la fois l’amie la plus chère et la dominatrice qu’Aimée envie. Peu à peu, la projection de haine glisse sur d’autres figures, jusqu’à celle de l’actrice Mme Z. qu’Aimée agressera au couteau.

« Tu me voles mon enfant »

Annie écrit des lettres à sa belle-sœur. Elle est persuadée qu’elle veut lui voler son fils.
Jean-Marie décompense lorsque sa femme part en vacances avec son fils et une amie, sur le mode de « tu me voles mon enfant, je vais porter plainte, je ne te donnerai pas l’autorisation de partir avec lui à Malte ».

147 Bien plus, l’on retrouve, dans les « vrais » voleurs d’enfants, des sujets paranoïaques.

Où sont les enfants ?

Luisa est mariée à un homme qui finit par décompenser. Il lui avoue ses penchants homosexuels (il se connecte la nuit pour voir des sites pornographiques homosexuels) et finit par partir, un beau jour, en embarquant ses enfants dans le nord de la France. Elle ne sait pas où ses enfants sont, doit déposer une plainte à la police pour les retrouver.

148 La santé de l’enfant, qui forme le thème anxieux central du délire paranoïaque (il reproche à l’autre de ne pas s’en soucier, notamment), les laisse indifférents en réalité.

149 Chez les profils paranoïaques avec des traits pervers, l’on rencontrera aussi des incestueux qui agressent l’enfant, dans une dynamique de destruction de la mère.

7.4. Pédocriminalité

150 Dans la pédocriminalité, l’on retrouvera des profils pervers, ou des profils paranoïaques avec de nombreux traits pervers. Ces traits pervers donnent accès d’une part à la transgression sexuelle sur mineurs, d’autre part à la transgression sexuelle hors cadre familial, sur les enfants d’un autre que soi (les enfants « de l’extérieur »), ce qui implique l’objet partiel, hors de l’engloutissement paranoïaque de ses propres enfants.

151 De plus, dans la perversion, il y a fétichisation de l’objet et expression de pulsions sadiques, objet partiel et différencié. Ceci prédispose nettement à la prédation d’enfants tandis que le paranoïaque sera dans l’engloutissement, avec un objet indifférencié, et persécuteur (le paranoïaque peut se sentir persécuté par ses propres enfants).

152 Plus les paranoïaques auront des traits pervers, plus ils abuseront sexuellement leurs enfants. Un paranoïaque qui n’a pas de perversion sexuelle n’abuse pas son enfant, pas sexuellement, il le contrôle seulement psychiquement.

153 En conclusion, les paranoïaques seraient davantage dans l’incestuel et l’incestueux, pas tant dans la pédophilie plus « élargie » (qui implique un rapport à l’extérieur, c’est-à-dire, les enfants « de l’extérieur »), dans cette espèce de confusion archaïque qui est la leur, et les pervers plus dans la consumérisation des enfants (utiliser, acheter, etc.). Dans tous les cas, le délire paranoïaque porte sur les enfants, qui sont tout à la fois encensés, idéalisés, idolâtrés, confondus avec l’adulte, et persécutés, haïs, maltraités, violés et volés.

Notes

Du moins, la paranoïa de caractère.

Sade, 1795. La philosophie dans le boudoir, Paris, Gallimard, 1976.

Arendt, H. 1963. Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal, Paris, Gallimard, 1991.

D’ailleurs, le pervers jouit-il de la souffrance de l’autre ? Philippe Vergnes, autodidacte qui a énormément travaillé ces questions durant de nombreuses années (cf. https://perversionnarcissiqueetpsychopathie.wordpress.com/page/2/), m’a proposé l’hypothèse suivante : le pervers jouirait de la mise en déroute de l’autre, mise en déroute qui fait souffrir sa cible. En projetant son masochisme sur la victime, le pervers chercherait à reprendre contact avec sa propre souffrance, à laquelle, en raison du clivage, il n’a plus accès et qu’il dénie car elle engendre trop d’angoisse. Ainsi, le pervers ne jouirait pas tant de la souffrance d’autrui mais de la victoire qu’il acquiert sur cette souffrance projetée sur autrui. À chaque fois que l’angoisse submergerait trop le pervers, il mettrait en place ce scénario de projection de souffrance sur autrui, en l’agissant chez autrui, pour mieux la dominer.

Racamier, P.C. 1992. Le génie des origines : psychanalyse et psychose, Paris, Payot.

Racamier, P.C. 1995. L’inceste et l’incestuel, Paris, Dunod, 2010.

Racamier, P.C. 1994. Revue française de psychanalyse, 4.

C’est pour cela qu’une société qui confond fantasme et acte, et poursuit quelqu’un pour émettre l’intention ou avoir fantasmé est une société paranoïaque fondée sur l’incestuel.

Defontaine, J. 2002. « L’incestuel dans les familles », Revue française de psychanalyse, vol. 66, p. 179-196.

Racamier, P. C. 1995. L’inceste et l’incestuel, op. cit.

CARE : Enseignement en santé pour l’intégration des compétences relationnelles, éthiques et de collaboration pluri professionnelle

1. Etat des lieux 

 

CARE est un acronyme signifiant Collectif azuréen d’enseignement en éthique. Il est une réponse à l’attente des étudiants en santé d’avoir des enseignements réinterrogeant le sens de leur engagement afin de leur permettre de renouveler à chaque étape de leur cursus leur motivation. Les dispositifs pédagogiques utilisés visent à développer chez les apprenants des compétences relationnelles, telles que la communication, la dynamique de groupe, le travail d’équipe, la collaboration interprofessionnelle avec comme point nodal essentiel l’intégration des patients/usagers/bénéficiaires en tant que formateurs à part entière dans ce cursus.

1.1 L’équipe actuelle du collectif

Des patient.es intervenant.es : Frédérique HAAS, Stéphanie GAILLARD, Marion LENTE, Charlotte BESCOND

Les docteurs Madeleine Percheron, Pierre Assas, Jean-Jacques Gauci

Le docteur Bernard PROUVOST-KELLER Département santé publique CHU Nice

Un enseignant en SHS (Sciences humaines et sociales) : Alain PERCIVALLE, psychologue, Service des urgences CHU Nice

 

1.2 Les enseignements sur les compétences relationnelles, éthiques et de collaboration pluri-professionnelle existants dans les écoles en santé du 06

Ces enseignements ont été développés depuis plusieurs années dans les différentes écoles et facultés en santé du 06. Le tableau des enseignements aux compétences relationnelles pour les étudiants en médecine 2021/22 est disponible.

1.3 L’éthique clinique

L’éthique médicale peut se réclamer de multiples courants de la philosophie au cours de l’histoire et s’en inspire en fonction des époques, des cultures. L’attention à la personne dans son caractère unique et la valorisation de l’autonomie du sujet, de même que l’importance des émotions et des sentiments dans le processus de la construction de la connaissance et de la pensée sont à notre époque mis en avant dans les critères d’une relation de qualité.

L’éthique médicale est souvent exprimée sous formes de principes : la bienveillance qui relie deux humanités confrontées à la fragilité, à la douleur et à la souffrance. La non-malfaisance qui exprime la prudence qui préside à toute action de soin. L’autonomie du patient qui traduit la liberté au cœur de la condition humaine. Enfin la justice qui régit les rapports entre les individus, au sein des groupes comme au sein des sociétés. Chacun de ces principes se traduit dans la relation en situation de soin par des sentiments qui traversent à la fois le patient et le professionnel de santé. Chez ce dernier sa bienfaisance peut s’exprimer par l’empathie émotionnelle. La non-malfaisance par le doute. L’autonomie préservée du sujet se manifeste par le respect ; la justice par la révolte face à la maltraitance éventuelle du patient.

Cette défense de l’émotion et du sentiment au principe de l’agir éthique peut aussi renvoyer au concept de vertu comme habitus opératif bon. En mettant en avant le développement des vertus dans l’agir moral des professionnels de santé, ces vertus apparaissent comme autant de qualités dynamiques mobilisables dans le quotidien de la rencontre avec les patients. Ce concept de vertu rejoint celui de compétence, qui lui relève des sciences de l’éducation, où la compétence peut être définie comme un agir adéquat en situation. Dans ce cadre un agir éthique est celui où des capacités comme autant de ressources en situation sont adéquatement mobilisées. Parmi ces ressources on peut directement signaler la sensibilité morale comme repérage émotionnel des enjeux éthiques, comme les capacités d’analyse et de délibération éthique ou encore cette capacité d’autodétermination du sujet. Ces capacités nécessitent des aptitudes communicationnelles et aussi des aptitudes à repérer des mouvements psychologiques à l’œuvre dans un entretien par exemple, souvent désignés sous le terme de « mécanismes de défense ». Le développement de capacités et de ces aptitudes nécessite de fait des dispositifs pédagogiques adaptés, éloignés d’une simple transmission de savoirs ou bien recourant uniquement à la résolution de dilemmes par des capacités argumentatives.

1.4 Le modèle du partenariat patient

Développer un partenariat entre patient et professionnel c’est engager pour le professionnel une écoute respectueuse des attentes du patient dans une logique d’autonomisation de ce dernier. Le patient, en particulier le patient chronique, est considéré dans ce modèle comme un membre à part entière de l’équipe de soin, c’est un soignant.

Ce concept de partenariat patient-professionnel de santé est au cœur du modèle de Montréal (Pomey et al., 2015). Comme le précise le Guide d’implantation du partenariat de soins et de services (2014) issu du travail des équipes de l’Université de Montréal, celui-ci s’appuie sur le savoir expérientiel des patients que sont les « savoirs du patient, issus du vécu de ses problèmes de santé ou psychosociaux, de son expérience et de sa connaissance de la trajectoire de soins et services, ainsi que des répercussions de ces problèmes sur sa vie personnelle et celle de ses proches » (p. 14).
            Parmi les enquêtes à l’origine de cette prise de conscience, il y a celle d’Angela Coulter qui a calculé que les malades chroniques, s’ils passent en moyenne entre cinq à dix heures de soin avec leurs spécialistes par an, vont consacrer en moyenne 6 250 heures pour l’auto-soin ou le soin prodigué par leurs proches dans le même temps (Coulter, 2011), soit un rapport de 2 % pour 98 % (Boivin et al., 2017). La plupart du temps si le patient ne connaît pas les données scientifiques regardant la pathologie qui le touche, il dispose en revanche d’une connaissance précieuse, à savoir ce que c’est que de vivre avec la maladie.

Le modèle de Montréal prône donc la complémentarité incontournable des savoirs des professionnels sur la maladie et des savoirs expérientiels des patients sur le vécu au quotidien avec cette maladie: « Le patient est impliqué tout au long du processus qui le concerne comme lors de son plan de soins, les décisions étant prises en fonction de ses savoirs, ses propres valeurs et ses objectifs de vie. » (Pomey et al., 2015, p. 44).

Plus largement il s’agit d’impliquer les patients dans la formation des professionnels de santé, dans la construction du système de santé et dans l’évaluation des politiques publiques en la matière. Cela passe par la reconnaissance et le développement chez les uns et les autres de compétences mises en œuvre dans le soin. Elles ont été définies par les équipes de Montréal : le travail d’équipe, la clarification des rôles et des responsabilités de chacun, la communication, le leadership collaboratif, l’éducation thérapeutique et l’éducation à la santé, l’éthique clinique, la prévention ainsi que la résolution des conflits (DCPP et CIO-UdeM, 2016, p. 25).

Nous avons choisi le terme de patient intervenant (au sein des formations) pour souligner participation à la tâche d’enseignement qui revient au patient formé à cet effet. Il n’est pas là en premier lieu pour témoigner de son parcours de soin (patient témoin) ou bien pour faire bénéficier de ses compétences dans le vivre avec la maladie d’autres patients (patient expert). Il rapporte en simulation ou à travers d’autres dispositifs pédagogiques ce qu’il ressent et interprète des attitudes, des paroles, des prises de décisions de l’apprenant en situation. C’est donc un apport subjectif, qui est soumis à son appréciation individuelle, et qui ne constitue nullement un standard universel. De fait au sujet d’une même situation des points de vue entre patients intervenants peuvent être très nuancés, voire contradictoires, et il en est bien ainsi.

1.5 La réforme du 2ème cycle des études médicales (R2C)

1.5.1 Les apprentissages par compétences

Les compétences sont un savoir-agir complexe prenant appui sur la mobilisation et la combinaison efficace d’une variété de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situation (Tardif 2006). Il a été défini 356 situations professionnelles de départ dans lesquelles les compétences techniques et relationnelles sont à acquérir. Cette réforme va peu à peu infuser au sein de la formation des médecins, en passant d’un paradigme d’enseignement magistro-centré à un apprentissage partant des représentations des étudiants et valorisant à côté des connaissances les habilités  et le savoir-être. Un élément majeur pensé pour mettre en œuvre cette transformation est le mode d’évaluation des étudiants, les ECNi.

1.5.2 Les ECOS (Examen Clinique objectif structuré)

Les ECOS sont une partie des ECNi (Examens classants nationaux de 6eme année de médecine (M3). A partir de l’année universitaire 2021/2022, Ils seront mis en place en contrôle continu pour les étudiants de M1 afin qu’ils aient une note finale en 2024. Ces ECOS compteront pour 30% de la note des ECNi, 60% revenant à l’évaluation connaissances et 10% de l’évaluation étant réalisée sous forme de portfolio. Cela déterminera les choix offerts aux étudiants pour leur internat et leur future spécialité.

Les compétences requises sont divisées en 7 groupes de compétences à la fois techniques et relationnelles: Clinicien, Communicateur, Acteur de santé publique, Réflexif, Coopérateur, Scientifique, Responsable sur le plan éthique et déontologique.

Notre action vise à favoriser le développement chez les étudiants de ces compétences relationnelles, considérant qu’il est nécessaire pour eux d’acquérir conjointement aux connaissances bio-médicales les compétences relationnelles et les habiletés techniques, et ce dès le début des études médicales.

2. Objectifs

2.1 Objectif principal

Intégrer la communication et l’éthique aux situations d’apprentissage des compétences techniques et scientifiques des professionnels et des étudiants en santé

2.2 Créer un collectif de patients/professionnels

Concevoir et/ou participer aux formations initiales et continues en santé et à l’évaluation des performances et des compétences des professionnels en santé

2.3 Adhérer à une charte

L’équipe se réunit autour d’une conception humaniste du soin et souhaite que les membres de ce collectif agissent avec clarté et sincérité. Une charte précisera les grands engagements que chaque membre de l’équipe s’engagera à respecter.

2.4 Recruter des patients intervenants

– Missions

Intervenir dans la formation initiale et continue des étudiants et professionnels de santé sur la communication et l’éthique

– Fonctions

Participer à l’enseignement : comme co-concepteurs et/ou patients simulés

Participer à la recherche de financement, la constitution d’un réseau ou encore l’organisation technique.

– Recrutement

Les patients nous sont recommandés par des cliniciens avec lesquels nous collaborons. Il

Ils nous adresseront :

  • Un CV mettant en avant les éléments de leur parcours qui pourront être utiles dans ce projet
  • Une lettre de motivation

Ils auront deux entretiens : un avec un patient intervenant et l’autre avec un professionnel du projet

L’intégration dans l’équipe sera effective après leur participation à la formation dite « socle » et un engagement de participation aux activité (à réfléchir)

– Financement

Il est important dans sa dimension matérielle (essence, temps mobilisé etc.) Il est important aussi sur un plan symbolique et ce pour les deux parties. Il témoigne de la reconnaissance du service rendu et de sa pertinence. Il est aussi la possibilité pour l’institution de demander le respect d’une charte du patient intervenant (ponctualité, confidentialité, engagement etc.)

– Statut administratif:

Plusieurs cas de figure sont possibles (salariés du secteur privé ou public, personne retraitée, personnes bénéficiant du statut de personne handicapée etc.)

Pour certains le statut d’autoentrepreneur est le plus adapté. Pour ce faire il faut créer un dossier d’auto-entrepreneur. La démarche est simple et gratuite. Il faut créer un compte, joindre un justificatif d’identité (scanné ) sur le site www.autoentrepreneur.ursaff.fr. Le statut est celui de « professeur indépendant dans l’enseignement supérieur » et préciser après « patient intervenant ». Une confirmation d’inscription est adressée sous huitaine avec une notification d’affiliation à la sécurité sociale (ce qui permet à chaque patient intervenant d’être pris en charge en cas d’accident).

2.5 Recruter des professionnels

Il est important que le collectif rassemble des statuts différents pour favoriser le dialogue et l’échange, tant les points de vue sont différents et complémentaires, ceux du professionnel en activité, ceux du patient et ceux de l’étudiant en formation initiale.

2.6 Former les patients intervenants/professionnels de santé : formation « socle » puis formation continue

– Pour toutes les personnes formées

Travail en équipe : collaborer, reconnaître les compétences des uns et des autres

Communication : écouter, pratiquer l’écoute active, accueillir et faire avec ses émotions et celles de celui qui est en face de nous, communiquer, mener un entretien, construire une relation de confiance avec les étudiants, avoir de l’empathie

Pédagogie : s’accorder sur les objectifs du groupe, travailler avec les représentations des apprenants, générer de la dynamique, transformer son expérience en connaissance à enseigner, utiliser les outils pédagogiques

Evaluation : évaluer les besoins (et les attentes), évaluer la formation, apprendre à s’autoévaluer

Utilisation de dispositifs pédagogiques participatifs (simulation, théâtre-forum, la médecine narrative, le ciné-éthique, le Jigsaw, le World café, l’Abécédaire etc.)

– Pour les patients intervenants :

Sortir de son histoire personnelle et de son cas individuel.

Eviter de généraliser son propre cas

Renforcer la résilience sur son propre vécu

Connaître le système de santé, se situer sur ses représentations du système de santé, connaître le cursus des étudiants, appréhender et comprendre ce que vivent les étudiants

– Organisation

Une formation initiale dite « socle » de 2 jours

Participation comme observateur avec débriefing dans certaines actions de formation initiale, simulation aux compétences relationnelles

Formation continue

3. Participer à la formation des professionnels et étudiants en santé

Patients intervenants et professionnels participent aux étapes de la conception à l’évaluation en passant par la mise en œuvre des actions pédagogiques en formation initiale ou continue

3.1 Contenu des syllabus en formation initiale et en formation continue

3.1.1 Les différentes compétences abordées en formation
  • Clinicien,
  • Communicateur,
  • Acteur de santé publique
  • Réflexif
  • Coopérateur
  • Scientifique
  • Responsable sur le plan éthique et déontologique
3.1.2 Le contenu
  • L’éthique,
  • L’« être éthique », agir moralement en étant orienté vers le bien des individus et le leur.
  • La communication,
  • Les compétences génériques
  • La psychologie médicale
3.1.3 Les méthodes pédagogiques
  • Simulation avec débriefing
  • Médecine narrative
  • Techniques de communication,
  • Exercices interactifs et apports théoriques sur Moodle

 

3.2 Elaborer et gérer une plateforme d’e-learning support des formations

Pour les patients comme pour les étudiants il est important de pouvoir se référer dans le domaine des compétences relationnelles à des sources sûres et complètes, issues de la recherche, complétées aussi par de multiples expériences et témoignages . Cet enjeu de santé publique est porté par le Professeur Christian Pradier directeur du département de santé publique du CHU de Nice. Le Pr. Pradier outre son activité de recherche et d’enseignement, a développé depuis des années des cours en e-learning. Le docteur Prouvost Keller, addictologue, est membre de ce département et est impliqué dans la formation des professionnels et des étudiants au sein de l’hôpital et de la faculté. Il a lui aussi une bonne connaissance des cours en distanciel. Ils pourraient donc être des artisans essentiels pour que nous puissions proposer une base de données gratuite, interactive, intelligente qui pourrait articuler le virtuel et le présentiel, l’acquisition des connaissances et le développement des compétences. 

Bibliographie

Coulter, A. (2011). Engaging Patients in Healthcare. McGraw Hill/Open University Press.

Deschênes, B., Jean-Baptiste, A., Matthieu, É., Mercier, A.-M., Roberge, C., & St-Onge, M. (Groupe de travail chargé de l’élaboration du guide). (2014). Guide d’implantation du partenariat de soins et de services : vers une collaboration optimale entre intervenants et avec le patient. Montréal, Canada : Université de Montréal & Direction collaboration et partenariat patient/CPASS.

Percivalle, A. (2020). L’éthique en tant qu’objet de formation au cours des études médicales. Examen épistémologique et méthodologique critique d’une approche éducationnelle centrée sur la psychologie des émotions et sur le recours à des dispositifs de simulation, Thèse de psychologie sous la direction de Jean Jouquan, UBO.

Pomey, M., Flora, L., Karazivan, P., Dumez, V., Lebel, P., Vanier, M., & Jouet, E. (2015). Le « Montreal model » : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé. Santé Publique, HS 1, 41-50. https://doi:10.3917/spub.150.0041

Annexe

 Grille d’observation (Ottawa. I. BURNIER, 2021):

Échelle évaluation / modèle uOttawa – centre des examens d’Ottawa – programme MD
ENTREVUE – ANAMNÈSE
Aptitude à écouter
123456
Interrompt le patient de façon inappropriée, ignore ses réponsesSe montre impatientRendement limite (insatisfaisant) Est quelque peu attentifRendement limite (satisfaisant) Est quelque peu attentifEst attentif aux réponses du patientPorte une attention soutenue aux réponses du patient et à ses préoccupations
Aptitude à questionner
Maladroit, uniquement des questions fermées ou tendancieuses, emploi de jargonUn peu maladroit, termes inappropriés, quelques questions ouvertesRendement limite (insatisfaisant) Relativement à l’aise, langage approprié et différents types de questionsRendement limite (satisfaisant) Relativement à l’aise, langage approprié et différents types de questionsÀ l’aise, questions précises, bon emploi de questions ouvertes et ferméesQuestions posées avec assurance et savoir-faire
Aptitude à structurer l’entrevue
Approche désordonnée, précipitéeMinimum
de méthode
Rendement limite (insatisfaisant) Déroulement quelque peu logiqueRendement limite (satisfaisant) Déroulement logiqueEnchaînement logique ayant un but précisEntrevue ayant un but précis, démarche intégrée
EXAMEN PHYSIQUE
Aptitude à structurer l’examen physique
123456
Approche désordonnée, manœuvres inutilesMinimum de méthodeRendement limite (insatisfaisant) Déroulement quelque peu logiqueRendement limite (satisfaisant) Déroulement logiqueDéroulement logique ayant un but précisExamen ayant un but très précis, démarche intégrée
Attention accordée au confort de la patiente
Manque d’attention en ce qui concerne le confort ou la dignité de la patiente (p. ex. ne couvre pas la patiente ou lui fait mal inutilement)Cause inutilement un inconfort ou une gêne à la patienteRendement limite (insatisfaisant) quant à l’attention accordée au confort et aux besoins de la patienteRendement limite (satisfaisant) quant à l’attention accordée au confort et aux besoins de la patienteEst généralement attentif au confort et à la dignité de la patienteEst constamment attentif au confort et à la dignité de la patiente
PROFESSIONNALISME
Empathie
123456
Est condescendant, ne manifeste pas d’empathieFait preuve d’une courtoisie minimale seulementRendement limite (insatisfaisant)Rendement limite (satisfaisant)Est poli et intéressé; fait preuve d’une certaine compassionEst chaleureux, s’intéresse à la patiente; fait preuve d’empathie et de compassion
Respect
Comportement offensant ou agressif, conduite franchement non professionnelleFait preuve d’une courtoisie minimale seulement; n’est pas attentif aux préoccupations et au confort de la patienteRendement limite (insatisfaisant)Rendement limite (satisfaisant)Est attentif aux préoccupations et au confort de la patiente; reconnaît une certaine autonomie à la patienteEst entièrement attentif aux préoccupations et au confort de la patiente; reconnaît pleinement l’autonomie de la patiente

Management et leadership

Les termes sont multiples pour désigner celui qui est responsable : chef, patron, gestionnaire, manager, leader… Responsable cela veut dire qu’il aura à « répondre » de l’échec ou du succès de la mission, des résultats etc… Cette tête qui se définit aussi indissociablement par rapport aux membres du corps possède, nous allons voir dans quelle mesure, l’autorité, le pouvoir, l’expertise, le charisme etc…
On trouve de multiples définitions de ces différents termes. En fait ils renvoient à des concepts qui sont souvent suffisamment clairs chez les différents auteurs mais que chacun exprime avec l’un ou l’autre de ces termes en fonction de l’étymologie, de la pensée dominante du moment etc…
Nous allons proposer notre essai de relier ensemble ces termes et les concepts qu’ils expriment dans un but de formation pour les personnels hospitaliers dans le cadre du projet PACTE.
1. LAUDATIF OU PEJORATIF
Ce qui frappe dans l’utilisation courante ou professionnelle de ces termes c’est que suivant les contextes ils peuvent revêtir des significations très différentes.
Prenons le terme de patron.
Un patron en France dans les années 50 dans un service de médecine renvoie à la figure du mandarin, placé sur un piédestal par certains de ses élèves qui le désigneront leur vie entière comme leur maître et qui n’auront de cesse de l’imiter, respecté certes mais craint pour son autoritarisme et son peu d’empathie. Il en est de même pour un certain nombre de chefs militaires, ce terme de chef étant préféré dans l’armée française.
Un patron dans le discours d’un syndicaliste de la CGT formé à la dialectique marxiste, au moins au court du XX e siècle, c’est un tyran qu’il faut déboulonner de son piédestal de privilèges. De fait le terme de manager a fait son apparition pour gommer cette relation quasi infantile entre cette figure du père idéal du patron paternaliste et de ses enfants tout dévoués.
Le terme de manager par son origine américaine, recèle de l’aura de jeunesse et d’efficacité propre au Nouveau Monde dans l’imaginaire collectif. Mais les limites du modèle se sont vites faites sentir, modèle où, caricaturalement, les résultats sonnants et trébuchants dans la poche de l’actionnaire, quel qu’en coûte les pertes humaines, semblent être le seul objectif .
En revanche « le petit patron » renvoie une image plus positive (poujadiste cependant pour certains), celle par exemple d’un artisan et de son apprenti qui travaillent dur. Mais cet adjectif « petit » n’est pas pour autant gage de sympathie, le « petit chef » étant immanquablement un sombre crétin d’autant plus imbu de son pouvoir qu’il est limité.
Tous ces exemples pour se rendre compte qu’en abordant ces thèmes nous sommes chacun plongés dans des systèmes de projections, d’apriori éducatifs, de biais culturels et que de parler de ces thèmes c’est parler de soi, car à quelques rares exceptions près nous sommes tous soit des chefs soit des subordonnés, bien qu’en France on en trouve peu de la seconde catégorie…
2. LE MANAGEMENT
Précisons d’abord les termes.
Le terme « management » désigne plutôt les pratiques et les savoir-faire associés à l’organisation du travail collectif et aux relations humaines, avec une dimension surtout qualitative : management stratégique, management de projet, management participatif, etc.
Le terme « gestion » désigne plutôt les techniques de conduite des affaires en général, avec une dimension surtout quantitative : gestion comptable, gestion de patrimoine, contrôle de gestion, etc.
Quelles sont les qualités du manager ?
Tout d’abord le manager doit être légitime dans sa fonction.
Max Weber a défini classiquement les trois formes de légitimité qui assoient la position du chef : la légitimité traditionnelle, issue de la lignée et de l’histoire qui assure à une société la stabilité, la légitimité légale et rationnelle, celle qui institue ou désigne comme responsable celui qui a les compétences requises , la légitimité charismatique enfin, à laquelle s’apparente le leadership .
Le manager posséde la légitimité rationnelle, celle acquise par les études ou la promotion interne au mérite, celle de l’expérience reconnue et appréciée. Il n’est pas expert dans tous les domaines mais il a son champ d’expertise (technique, financier…)
Son rôle d’organisation consiste en trois points : penser, faire faire et vérifier.
Penser c’est-à-dire concevoir la stratégie pour atteindre l’objectif.
Faire faire c’est-à-dire conduire ce processus. Pour cela il a le pouvoir de recruter ses collaborateurs.
Vérifier, c’est à dire contrôler la mise en œuvre par chacun de la tâche qui lui incombe . Et par là même récompenser ou sanctionner chacun des membres de son équipe.
Habituellement, le manager s’est formé au cours du temps en dirigeant au début de sa carrière de petites équipes (la section pour un lieutenant dans l’armée, un groupe d’ouvriers pour de jeunes ingénieurs). Cette expérience du terrain est irremplaçable et signera la marque du bon manager au cours de toute son existence : il se déplace pour aller à la rencontre de ses collaborateurs, subordonnés, administrés etc… pour les écouter directement.
Il revient à toute personne située en position de responsabilité, de commandement de décider pour le groupe. Les décisions stratégiques d’un grand chef d’entreprise par exemple conditionnent la vie de milliers de salariés, de leur famille. On parle volontiers de la solitude du chef. Si le chef décide seul, le vrai chef n’est pas seul à prendre sa décision dit le général de Saint Chamas, commandant de la Légion Etrangère qui cite Joffre « Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne mais si elle avait été perdue, c’aurait été par moi. »
Le manager est au cœur des relations humaines au sein d’un groupe de travail. De lui dépend particulièrement la régulation des pulsions comme l’agressivité, les appétits de pouvoir… Il doit veiller à ce que les conflits, inhérents à tout groupe d’espèce vivante, ne prennent pas une tournure violente ce qui serait délétère . Cette place capitale essentielle au groupe et ce dans tout le règne animal, cette capacité à « gérer » les conflits est un marqueur décisif entre les bons et les mauvais chefs. L’entre deux n’existe pas aux yeux des subordonnés.

2. LE LEADERSHIP

« Leadership » vient de l’anglais leader, le chef d’un parti politique désigné par ses pairs en Grande-Bretagne.
De façon fondamentale le terme leadership désigne l’influence d’un individu sur un groupe en tant qu’il exerce une relation de pouvoir , le pouvoir de diriger les autres à un moment donné ou dans des circonstances précises.
Le leader est donc un meneur, capable de contribuer à l’efficacité et au succès d’un système ou bien doté d’un réel pouvoir de nuisance et de blocage.
Le leader tire sa légitimité du groupe au cours d’un processus d’émergence.
Un des membres du groupe exprime ce que les autres ressentent, il se fait le porte-voix de trous ou presque. C’est l’exemple d’un salarié dont le père était responsable syndical et qui harangue ses collègues de travail dans une situation de crise, un dépôt de bilan par exemple, leur rappelant tous les efforts qu’ils ont consentis pour l’entreprise.
Il donne des clés d’interprétation de la réalité, offrant une vision cohérente et assez simple, permettant aux autres, indécis ou plongés dans des sentiments contradictoires, d’y voir clair. Les membres du groupe lui font confiance. Pour suivre l’exemple de cette entreprise, la formation de ce salarié au sein d’un mouvement de jeunesse lui a permis d’avoir une dialectique efficace sur la lutte des classes.
Le voyant à l’œuvre, car c’est aussi le propre du leader de passer des paroles aux actes, ils le suivent . Cela veut dire que les autres membres lui délèguent leur pouvoir de décision, leur liberté en fin de compte. Il s’impose alors comme le chef.
Le leader est toujours animé par la question du sens de l’action collective et il témoigne d’une grande cohérence entre les idées qu’il exprime et son agir, ce qui le rend exemplaire . Il apparaît être au service des autres, et il semble éprouver pour tous de l’empathie .
Le leader possède par là même cette force d’irradiation, qu’on nomme le charisme et qui pour être réel s’impose dans la durée. Il est passionné par sa tâche, fait partager son rêve et aimante les autres à sa suite qui vont se dépasser, réalisant ce qu’ils n’auraient jamais cru atteindre. Autour de lui se fait la cohésion du groupe.

On peut donc apporter une distinction importante entre le management et le leadership. Le management est d’essence institutionnelle, le leadership est un processus de désignation au sein du groupe. Deux questions importantes se posent alors en management :
Comment faire pour un manager face à des leaders au sein de son organisation de travail ?
Est-il possible de devenir leader pour un manager ?

Mais avant toute chose il convient d’établir que le leadership est nécessaire à tout bon management.

Les bons managers seraient systématiquement des leaders.
Certains opposent tout autre mode de responsabilité (patron, gestionnaire, manager…) au management du leader. Autant la plupart des membres d’une équipe suivent le leader qui agit sur le groupe par une force d’entraînement, autant dans l’autre modèle le responsable ne dispose que d’un pouvoir formel du à sa position hiérarchique, et son autorité ne tient qu’au poids de l’institution .

Le consultant Scott Williams établit un tableau très symptomatique de ces deux positions.
L’essence du leader est de promouvoir le changement, au contraire de maintenir pour l’autre modèle la stabilité à tout prix . Le leader brise les règles qui freinent le dynamisme, l’initiative, le risque . Le contraire d’une administration qui multiplie les contraintes et la paperasse.
Le leader donne précisément le sens, la direction mais laisse libre chacun d’y parvenir, favorisant ainsi l’initiative, la réflexion, la débrouillardise, la créativité… L’autre s’enferre dans les détails qu’il planifie à l’envie.
Le leader communique au sein de son équipe et donc utilise le conflit pour améliorer le système, tout le contraire du manager qui évite de régler les problèmes humains et laisse s’installer le mécontentement ou agit de façon brutale et casse la dynamique du groupe . Le leader facilite la décision au sein du groupe, elle émerge d’un processus collégial où chacun peut s’exprimer à l’inverse de celui qui prend ses décisions seul, sans tenir compte de l’avis de ses subordonnés .

On l’a dit, ce sont les circonstances, les évènements qui révèlent le leader. Et c’est dans l’adversité qu’on reconnaît le chef. Il possède le courage qui n’est autre que la vertu de force, celle qui révèle la solidité de la résolution face au risque, la qualité de la conviction intérieure face à l’inconnu. Cette solidité qui le fait demeurer seul dans la tempête, capable de résister, est ce qui force l’admiration et entraîne à sa suite.
Ce qui va révéler un bon manager et qui lui est nécessaire pour être un leader est sa capacité de jugement. Denis Cristol, auteur de Leadership et Management, consultant et chargé de mission au sein de la fonction publique territoriale, le désigne comme un praticien réflexif, c’est-à-dire qu’il est capable d’analyser son environnement, les réactions de ses collaborateurs et de réadapter sa stratégie . Cette capacité de jugement est caractéristique de la vertu classique de prudence définie comme cette capacité à discerner en toute circonstance ce qui est nécessaire pour atteindre le résultat et mettre en œuvre les moyens pour ce faire . L’adage militaire rappelle que « le premier mort à la guerre c’est le plan » et Foch disait « La guerre : on fait ce qu’on peut pour appliquer ce qu’on sait. »
Cette réactivité, cette intelligence du terrain, cette remise en cause de ses certitudes à l’épreuve des faits qui rend capable de percevoir les nuances, tout cela est une intelligence pratique, une capacité d’adaptation qu’il est difficile à acquérir si on ne l’a pas au sortir de l’adolescence. Il faut pour cela à la fois une forte capacité de traitement de l’information, une ingéniosité et aussi une certaine connaissance psychologique qui rend capable d’apprécier son environnement humain, l’esprit de finesse que Pascal distinguait de l’esprit de géométrie .
Certains leaders enfin savent déléguer, distribuer le pouvoir.
C’est là un point très délicat semble-t-il et qui distingue les leaders positifs des leaders négatifs. Car on peut relire toutes les caractères du leader et s’apercevoir qu’ils s’appliquent à des individus très différents, de Gandhi ou Mandela à Napoléon, De Gaulle, de Kennedy ou Martin Luther King à Lénine, Trotski…
Au-delà de la valeur morale des convictions du leader, c’est l’exercice du pouvoir qui va révéler sa motivation profonde. Le mot autorité vient du latin « augere » qui signifie augmenter. De cette étymologie certains tirent que c’est la caractéristique essentielle du leader positif que de permettre chez ceux sur qui il exerce son autorité le développement de ce qu’il y a de proprement humain : le sens de la responsabilité, la liberté, la créativité. Et ceux-ci ont le droit et même le devoir de lui faire part de leurs critiques .
Au contraire celui qui grisé par le pouvoir, se convainc se sa toute puissance et agit de plus en plus avec autoritarisme . Certains le suivront jusqu’au fanatisme, abdiquant leur raison, leur conscience, leur honneur. Les autres seront rejetés, considérés comme des traitres.
Etre capable de reconnaître ses erreurs est le critère fondamental qui permet l’apprentissage et donc l’amélioration. C’est évidemment la voie la plus sûre pour éviter de s’enfermer dans une vision erronée et de courir à la catastrophe. Le chef démontre par là au plus haut point cette capacité de jugement propre à la vertu de prudence. Etre donc en mesure d’entendre les critiques qui lui sont formulées et les utiliser pour être plus performant est l’atout majeur du leader positif .
En somme c’est l’humilité qui est la marque des meilleurs.

3. QUE FAIRE POUR DEVENIR LEADER? LES COMPORTEMENTS VERTUEUX DU MANAGER
Le débat existe entre ceux qui pensent qu’on ne fera jamais d’un manager quelconque un leader et ceux qui au contraire pensent que tout n’est ne dépend pas d’une « âme bien née » .
En fait il s’agit non pas de faire mais d’être. Non pas d’acquérir des techniques managériales mais d’habiter sa fonction :
– en approfondissant ses motivations,
– en prenant la mesure de son profil de personnalité et de ses limites (quitte à faire un travail sur soi),
– en mettant en place de bonnes pratiques au sein de son collectif de travail.

A la lumière de ce que nous avons dit celles-ci sont peu nombreuses, simples mais ô combien difficiles à développer au sein d’un service, d’une entreprise. Elles s’opposent en effet au management médiocre et stérile qui permet au mauvais chef de jouir de son inefficacité en reportant la faute sur ses équipes ou sur la conjoncture, et aux subordonnés de continuer à se plaindre sans avoir à s’impliquer.
C’est ainsi en particulier qu’en mettant en place ces bonnes pratiques le manager utilisera les leaders au sein de son organisation.

1- Recueillir régulièrement l’avis de ses collaborateurs jusque dans certains cas mettre en place « une hiérarchie restreinte impliquée » désignant le transfert du pouvoir de décision vers des acteurs sans position hiérarchique mais détenteurs du savoir, et en prise directe avec les opérations.
Il s’agit d’effacer volontairement toute marque de hiérarchie (c’est le modèle des réunions au sein des sous-marins) pour favoriser au maximum la collégialité.
2- Susciter systématiquement la présence d’un avocat du diable dans les prises de décision en groupe pour éviter le risque de focalisation.
3- Informer
Comme l’affirmait un capitaine « la télépathie j’ai essayé, ça ne marche pas ». Une fois la décision prise, des objectifs, des consignes, des ordres simples, sobres, clairs donne littéralement une lumière aux équipes pour éclairer leur agir au quotidien, dans le détail.
4- Favoriser l’autonomie
« Le commandement doit exercer un contrôle a minima des forces de manière à ne pas limiter inutilement leur liberté d’action, le subordonné devant finalement décider lui-même des meilleures voies à adopter pour le succès de la mission » C’est la pratique du « Mission Command » enseignée et mise en pratique dans l’armée britannique.
L’ordre est peu détaillé mais son explication (l’objectif à atteindre) est consistante.
5- Ne pas punir les erreurs, afin de favoriser l’apprentissage par l’expérience grâce au retour anonymisé des évènements indésirables.
En conclusion on peut affirmer qu’il n’y a pas à opposer manager et leader.
Il existe de mauvais manager, soit parce qu’ils n’obtiennent pas de résultats soit parce qu’ils maltraitent leurs équipes. Il existe aussi des leaders négatifs qui manipulent ceux qui les entourent à plus ou moins grande échelle.
Les bons managers ont d’abord des qualités d’organisation, ils ont pour objectif de remplir au mieux la mission. Mais aussi ils sont aussi des leaders, capables par leur conviction, leur ténacité d’entraîner leurs troupes. Positivement ils sont à l’écoute de leurs collaborateurs et les impliquent dans le processus de décision, les laissant suffisamment autonomes pour développer leurs solutions propres.

ANNEXES
1. LE DIAGRAMME DE REASON

2. LES FACTEURS DE STRESS AU TRAVAIL

LES STRESSEURS
LES FACTEURS A L’ORIGINE D’UNE BONNE QUALITE DE VIE AU TRAVAIL
Organisation du travail Insécurité
Objectifs irréalisables
Manque d’information suffisante qui rend difficile l’anticipation et perturbe l’organisation
Disproportion entre les objectifs et les moyens (rythme trop soutenu, insuffisance du repos…)
Absence de règlement
Rigidité trop importante des procédures
Lourdeur des tâches administratives
Absence de reconnaissance financière Respect des horaires

Information sur les objectifs et les moyens

Capacité d’autonomie laissé à l’agent ce qui lui permet une participation à la décision

Utilisation des compétences propres
Sens donné au travail

Rapports interindividuels au sein de l’équipe de travail
Ambiguïté sur les fonctions de chacun
Dureté du chef
Manque d’équité
Absence de reconnaissance Conflits violents Distance professionnelle
Coopération entre collègues
Groupes d’analyse de la pratique professionnelle

Tâches Confrontation à la maladie grave, à la douleur aiguë, à la mort.
Routine Variété des tâches
Profil de personnalité Difficulté cognitive à s’adapter
Moi idéal contraignant
Déséquilibre de vie (le sujet néglige les dimensions familiales et individuelles au profit du travail)
Immaturité psychique Bonne estime de soi
Facilité à aller vers les autres, à demander de l’aide
Autonomie affective
Soutien social (famille, amis)
3. LA GRILLE DE MANAGEMENT DE BLAKE & MOUTON

1.1 Style laisser-faire
Le manager est absent, il se désinvestit de ses responsabilités, ne règle pas les conflits, s’en remet au système pour obtenir les résultats (forcément médiocres) au prix de grandes tensions au sein de l’équipe, du service. Des individus, des groupes prennent le pouvoir, au moins en partie, et les meilleurs s’échinent à faire fonctionner le système jusqu’au moment où ils quittent le navire, épuisés.
2. Style leader social
Description :
Attention particulière aux besoins des employés.
Caractéristiques :
Préoccupation élevée pour le facteur humain, mais basse pour la production.
Beaucoup d’attention à la sécurité et au confort des employés en croyant que ceci accroîtra la performance.
Presque incapable d’utiliser son pouvoir punitif et coercitif.
Résultats :
Une atmosphère habituellement amicale mais peu productive .
3. Style autocrate
Description :
Leader autoritaire ou exigeant .
Caractéristiques :
Préoccupation élevée pour la production et basse pour le personnel.
Pression sur les employés par des règles et des punitions pour réaliser les buts de l’entreprise.
Souvent appliqué par des entreprises en position d’échec ou de gestion de crise.
Résultats :
Haute production à court terme
Turnover élevé
4. Style intégrateur
Il correspond aux descriptions faites du manager leader capable d’entraîner ses équipes car il est convaincu du projet qu’il porte, permettant à chacun de donner le meilleur de lui-même.

4. LA THEORIE DES QUATRE SYSTEMES
Cette théorie est répartie en quatre systèmes élémentaires sur un continuum.
Le système 1 se fonde sur l’exploitation et autoritarisme ; le manager adopte un style autocratique ou dictatorial. Ce type de gestionnaire a peu confiance en ses subordonnés et ne leur permet pas de prendre part au processus décisionnel. Il a recours à l’intimidation, à des récompenses et à des punitions pour les amener à faire leur travail. La communication est à sens unique verticale.
Le système 2 allie la bienveillance et l’autoritarisme ; le manager agit ici de manière paternaliste. Ce type de gestionnaire donne des ordres et prend toutes les décisions, mais il permet toutefois à ses subordonnés, dans une certaine mesure, d’exprimer leur opinion au sujet des ordres. Les subordonnés peuvent en outre déterminer eux-mêmes la manière d’exécuter leur travail à condition qu’ils respectent certaines directives et marches à suivre.
Le système 3 repose sur la consultation, le manager faisant confiance à ses subordonnés. Ce gestionnaire établit des objectifs et oriente le travail de membres de son équipe après les avoir consultés. Ceux-ci peuvent exécuter leurs tâches comme ils l’entendent. Le manager les assiste et les encourage à lui soumettre différentes questions. En général, il préfère récompenser que punir.
Le système 4 met l’accent sur la participation, et c’est celui que favorise Rensis Likert, le créateur de cette théorie. Le gestionnaire et ses subordonnés prennent les décisions ensemble, car il règne entre eux une confiance absolue. La communication se fait dans toutes les directions. Il y a délégation de l’autorité et par conséquent, les décisions se prennent à tous les échelons.
5. LES DIFFERENTS MODELES D’ERREUR
1.1. LES 3 ROLES : MANAGER/ EXPERT/ CANDIDE
– Le manager est défini comme une personne investie d’un pouvoir hiérarchique.
– L’expert est celui qui possède une connaissance approfondie d’un sujet particulier, acquise par la formation et l’expérience, connaissance que ne possèdent pas les autres acteurs de l’organisation.
– Le candide est un sujet qui n’est pas expert sur le sujet.

1.2. LES 5 ACTIONS VIS A VIS DE L’ERREUR
Produire l’erreur, Demander l’erreur, Suivre l’erreur, Être absent de l’erreur, S’opposer à l’erreur

1.3. DES MODELES DE PRODUCTION DE L’ERREUR
 Modèle hiérarchique autonome ex: communication en entreprise

L’autorité s’enfonce dans une solution contraire, sans recourir à aucun moment à l’expertise disponible, même quand elle constate le résultat erroné. Et cette autorité hiérarchique, devant l’opposition des candides, au lieu d’en tenir compte, se tourne vers d’autres clients.

On trouve beaucoup d’exemples dans le domaine de la communication. Bien des responsables en entreprise ressentent le besoin de mener une politique de communication interne sur leur action. Mais ils ne voient pas ce sujet comme une question technique nécessitant le recours à des spécialistes. Ils conçoivent, selon un bricolage cognitif, des actions de communication qui sont totalement inadaptées au public visé et qui, parfois, se retournent contre eux.

 Modèle hiérarchique autonome accepté ex: l’éruption volcanique
Ici encore le manager est producteur de la solution absurde, mais l’expert devient opposant et le candide suiveur.
Devant le risque élevé d’éruption d’un volcan, les pouvoirs publics, de peur de ne pas maîtriser la situation, ne font pas évacuer la zone dangereuse, contre l’avis des experts. Les candides (les habitants) acceptent cette décision car, plus ou moins rassurés par l’attitude des autorités, ils sont heureux de ne pas abandonner leurs foyers.

 Modèle hiérarchique validé ex: Tenerife 1977
Le Manager produit la solution absurde, mais ici il reçoit le soutien de l’expert qui est suiveur. Quant aux candides ils sont absents.
Ce modèle se rencontre dans des organisations dont l’activité est techniquement si sophistiquée que les managers sont en même temps des experts (cockpit, salle opération…) Cela présente un atout considérable : l’existence d’une capacité analytique de haut niveau partagée. Mais paradoxalement cela constitue un facteur d’erreur de représentation : si le manager se trope, l’expert, qui sait que ce manager est aussi un expert, peut hésiter à intervenir, pris dans un conflit cognitif. Ce silence de l’expert peut être interprété par le manager comme une confirmation de son choix.

Dans le cas de l’accident de Tenerife en 1977, le pilote commandant de bord de la KLM était un instructeur. L’officier mécanicien demande au commandant par deux fois « n’a-t-il pas dégagé la piste ? » en parlant du Boeing de la Pan Am. Mais il ne s’oppose pas à la décision du commandant de décoller.

 Modèle hiérarchique démuni ex: Challenger

Ici l’expert est opposant mais son opposition vient de son ignorance.

La décision de lancer la navette Challenger le 28 janvier 1986 apportaient à ce modèle. Lorsque la vague de froid est arrivée sur la Floride, les spécialistes des joints ont pressenti le danger et se sont opposés au lancement. Mais ils n’avaient pas de données chiffrées issues de mesures de type scientifique pour motiver leurs craintes. Ils étaient opposants sans détenir des arguments propres aux experts. Les managers n’ont pas accepté cette ignorance sur l’effet des températures.

 

La simulation comme outil d’apprentissage de l’éthique en santé dans les études médicales

Thèse de Philosophie.
Laboratoire d’accueil : Ethique, Professionnalisme et Santé, EA4686, Brest
Directeur : Pr Jean Jouquan, Faculté de Médecine de Brest.
Co Directeur : Pr André Quaderi, Département de Psychologie, Faculté des Lettres de Nice.

Equipe d’Accueil « Ethique, Professionnalisme et Santé »

CONTEXTE ET EXPOSE DE LA PROBLEMATIQUE
Aujourd’hui il n’existe pas pour la profession médicale, collaborant par ailleurs à l’échelle mondiale dans le domaine de la recherche et des thérapies, de programme de base universel pour l’enseignement de l’éthique.
En France l’enseignement d’éthique médicale est explicitement nommée au nouveau programme (2013) des études du second cycle (DAFSM), à la fois en tant qu’enseignement autonome (items 8, 136 à 140), et à la fois intégré dans des questions plus « cliniques », notamment en cas de pathologie à évolution défavorable. Le texte précise que le futur médecin est responsable aux plans éthique et déontologique : « l’étudiant a une attitude guidée par l’éthique, le code de déontologie et adopte un comportement responsable, approprié, intègre, altruiste visant au bien-être personnel et à la promotion du bien public se préparant ainsi au professionnalisme. » (Annexe : les compétences génériques).
La formation en éthique médicale au sein des facultés françaises a généralement pour objectif de consolider la réflexion éthique et de fournir des outils permettant d’apporter des solutions aux dilemmes qui peuvent se poser dans certaines situations complexes. Mais au-delà du cadre légal de l’intervention du praticien, l’éthique « du quotidien » se traduit par des attitudes, des comportements adaptés comme l’affirme le texte… Or un comportement adapté, une communication appropriée, une empathie sincère, peuvent-ils faire l’objet d’un apprentissage spécifique en formation initiale ?
Le sujet de ma recherche est la formation des futurs médecins en éthique en santé.
Membre du département d’éthique de la faculté de médecine de Nice et chargé d’enseignement au sein du centre de simulation de cette faculté, j’ai décidé d’entreprendre une recherche doctorale pour approfondir l’analyse de notre action de formation.
La simulation en santé est une méthode pédagogique active qui s’adresse à tous les professionnels de santé. Elle correspond « à l’utilisation d’un matériel (mannequin, simulateur procédural, etc.), de la réalité virtuelle ou d’un patient dit « standardisé » pour reproduire des situations ou des environnements de soins, pour enseigner des procédures diagnostiques et thérapeutiques et permettre de répéter des processus, des situations cliniques ou des prises de décision par un professionnel de santé ou une équipe de professionnels. »
Ma problématique envisage la place et la pertinence de la simulation en santé dans le domaine de l’éthique.
Cette recherche aura pour objectifs de :
– Décrire l’importance de l’éthique médicale;
– Passer en revue les méthodes utilisées dans le monde pour enseigner l’éthique médicale;
– Analyser l’utilisation d’une méthode, celle de la simulation en santé;
– Effectuer une évaluation approfondie d’un programme d’études utilisant la simulation
Mon hypothèse générale est que cet outil améliore significativement les performances des étudiants de Médecine dans ces compétences non techniques.

POSITIONNEMENT DE LA RECHERCHE ET QUESTIONNEMENTS

Le référentiel de compétences

La première difficulté réside dans le référentiel de compétences que l’on souhaite apporter à ces étudiants.
Premièrement faut-il parler d’éthique médicale, ce qui serait très logique concernant la formation de futurs médecins, ou parler d’éthique en santé, si l’on considère cette œuvre de réflexion comme collective, touchant à la fois les médecins, les soignants et même les patients ?
Deuxièmement quelle définition de l’éthique apporter ? Bien souvent dans les études de médecine l’éthique en santé se résume à des questions de bioéthique (début de la vie, fin de vie, greffe…). Or l’éthique en santé se résout-elle dans la jurisprudence et les limites légales de l’acte médical ? Qu’est-ce que respecter la dignité du patient ? Comment penser le dilemme entre une juste information au patient, le respect de sa liberté et la conviction du médecin sur la thérapeutique la plus adaptée, sans parler des contraintes financières et sociétales qui pèsent sur ce choix ?
L’écoute et l’empathie sont au cœur de l’éthique en santé. Mais ces compétences relationnelles peuvent-elles faire vraiment l’objet d’un apprentissage, au risque de figer dans des théories une praxis ? Par ailleurs le compagnonnage par les médecins seniors, des internes et des étudiants en médecine au cours des stages n’est-il pas suffisant ?
L’éthique en santé s’intéresse aussi au travail collectif entre professionnels de santé, au respect des individus, au juste exercice de l’autorité, à la résolution saine des conflits… Là encore, le travail en équipe est-il vraiment du domaine de l’éthique en santé ? En quoi peut-il faire l’objet d’un apprentissage spécifique au sein des facultés de médecine dans le cadre de la formation en éthique ?
La question posée est donc d’abord d’ordre épistémologique. Il s’agit d’interroger les postulats et les méthodes de l’éthique médicale, afin d’en déterminer l’origine logique, la valeur et la portée scientifique et philosophique.

Hypothèses de travail :
La première est que la quasi absence de travail de la relation au patient dans les études médicales est le produit de mécanismes de défense individuels et collectifs face à l’angoisse suscitée par la mise en présence de l’Autre, de son intimité, de sa maladie, de sa mort.
La deuxième est qu’il se réalise au sein des facultés de médecine un « curriculum caché », un enseignement opaque, se transmettant par imitation des seniors par les étudiants, créant ainsi une culture où le soin (cure) relève du médical mais non plus le prendre soin (care), tâche au mieux déléguée à des paramédicaux.
La troisième est que les médecins qui ont une relation adaptée à leurs patients ont été marqués par une expérience professionnelle ou une expérience de vie qui leur a fait prendre conscience de la dimension relationnelle et empathique de leur métier.

La simulation en santé

La simulation en santé est une méthode pédagogique active dont le but est de recréer des gestes techniques et des situations professionnelles des soignants dans un environnement réaliste.
Se pose ici la question du « réalisme » : comment le définir ? Qu’est ce qui dans le dispositif joue dans le sens de ce réalisme ou au contraire lui fait obstacle ?
A travers des jeux de rôle les futurs professionnels se familiarisent aux situations auxquelles ils vont être confrontés ou sont déjà confrontés sur leur lieu de stage. Des objectifs pédagogiques clairs et précis sont établis et travaillés en amont par les formateurs.
Mais fondamentalement est-ce possible d’enseigner l’éthique à travers des jeux de rôle qui ne sont pas la « vraie vie » ? Quelle est la tension qui existe entre cette immersion fictionnelle et l’apprentissage réel ? Pourquoi les participants à certains moments « font semblant » devant leurs collègues et à d’autres moments « se prennent au jeu» ?
S’il y a apprentissage, comment se déconstruisent des habitus professionnels pour que d’autres s’élaborent ? La simulation allie des tâches dites « techniques » (soins, élaboration d’un diagnostic médical à partir de signe cliniques, etc…) et des interactions relationnelles. Quelle place donner aux routines, dans certains cas facilitatrices de la réalisation des tâches, dans d’autres cas s’apparentant à des attitudes professionnelles mécaniques ? Plus fondamentalement comment se noue un jeu didactique entre les participants et les formateurs ? Qu’est-ce que les formateurs veulent enseigner et qu’est ce qui est appris par les participants ?

Psychologue au sein des Urgences du CHU de Nice et chargé d’enseignement à la Faculté de Médecine, j’utilise la simulation dans le cadre de la formation des étudiants en santé et des professionnels du CHU. Ma Recherche- Action veut donc se centrer sur les étudiants en Médecine dans le cadre des séances de simulation que j’anime, organisées à la Faculté de Médecine de Nice sous l’égide du Département d’Ethique et de Sciences Humaines.

Dans certains cas les scénarios sont écrits par les élèves eux-mêmes à partir de leurs expériences vécues. Je privilégie ce dispositif quand le nombre de participants et le temps imparti le permet car il me semble que la mise en commun en petit groupe de ces expériences, et l’écriture des scénarios permettent un échange et une élaboration collective. Dans ces séances de simulation les jeux de rôle sont habituellement filmés afin de permettre aux acteurs de réaliser une auto confrontation avec leur jeu. Ce temps de débriefing conduit par l’animateur et un expert (médecin spécialiste entre autre) implique aussi les observateurs, des étudiants n’ayant pas joué la scène ou des patients ressources, appelés aussi patients experts. Au terme de la séance, une synthèse finale permet à chacun de dire ce qu’il retient de la formation et de compléter l’enseignement par les formateurs.

De multiples questions émergent de ce dispositif.
Lorsque les scénarios sont écrits par avance par des professeurs de médecine, quels sont les objectifs des rédacteurs ?
Dans les cas où les scénarios sont écrits par les étudiants en médecine on peut s’interroger sur les effets de ce temps de parole libre pour les participants et sur les critères qui conduisent au choix de telle histoire pour produire le scénario du groupe.

La première partie du débriefing insiste sur les émotions éprouvées par les acteurs. Or souvent les professionnels de santé cherchent à tenir leurs propres émotions à distance. Est-il si pertinent de prendre conscience de ses émotions dans l’exercice d’un métier de santé ? N’y a-t-il pas des risques pour soi et pour le patient à les faire apparaître dans le soin et la prise en charge ?

Dans les jeux de rôle des acteurs doivent endosser un profil de personnalité qui n’est pas le leur (acariâtre, quérulent, bonhomme, hystérique etc…), d’autres ne sont pas mis au courant du déroulement du scénario … Dans certains cas les professionnels de santé jouent le rôle du patient, ou bien encore un soignant joue le rôle d’un médecin ou l’inverse…
Pour un des acteurs, ne pas connaître le scénario favorise-t-il l’authenticité et l’improvisation ? Quels sont les bénéfices à ne pas jouer son propre rôle professionnel ? Quels sont les effets d’apprentissage pour ceux qui doivent jouer une personnalité qui ne leur corresponde pas?
N’y a –t-il pas une injonction paradoxale à demander aux participants d’être «authentiques», de réagir comme dans la « Vraie Vie» et de produire par ailleurs un comportement qui va faire l’objet de remarques et de critiques, donc « normé » par le groupe, par les formateurs ?

Comme on l’a déjà signalé, la simulation mêle compétences « techniques » et « non techniques », autrement dit relationnelles. Lorsque les acteurs entrent en relation dans le jeu de rôle, ne font-ils pas que « mimer la relation » ? Ou bien s’il est possible de se « prendre au jeu », quels sont les ressorts pour le participant de son engagement dans le scénario, de son immersion dans cette néo-réalité, de l’authenticité de ses attitudes ? Est –il éthique d’apprendre aux étudiants à faire semblant, faire semblant d’être empathique par exemple, sans pour autant qu’ils éprouvent un authentique souci pour le patient ?
Les profils de personnalité des étudiants sont différents. Si certains ont une approche du patient suffisamment adaptée, d’autres sont en difficulté et certains peu nombreux semblent indifférents, voire toxiques. Quels sont les effets de la simulation sur les uns et les autres ?

Il faut aussi interroger la place des formateurs eux-mêmes.
L’animateur endosse tour à tour et en même temps les rôles de formateur, metteur en scène, professionnel de santé avec son statut propre (médecin, psychologue ou autre…), collègue de travail… Quels sont les effets sur le groupe, sur l’apprentissage des participants du statut des formateurs ?
Dans les temps de débriefing, l’animateur est là avant tout pour susciter la parole, pour poser des questions sur les processus de pensée, sur les émotions mobilisées qui ont conduit les acteurs à interagir ainsi. Il ne s’agit pas de juger de bons ou de mauvais comportements mais d’interroger le cheminement de l’acte, acte pétri de volonté de bien faire, de stress lié à la présence d’observateurs, de réactivation d’éléments refoulés et inconscients parfois…
Quel est l’effet de la simulation sur les individus mis en difficulté dans leur jeu de rôle ? Le principe de non jugement et de non punition de l’erreur mis en avant dans la simulation est-il en fin de compte si réel ? Face à un participant inadapté dans ses réactions quel est l’effet de groupe à l’issue de la séance ?

Hypothèses de travail :
La première est que les étudiants prenant conscience du retentissement émotionnel qui les habite quand ils entrent en relation avec le patient, sont plus aptes à percevoir les émotions du patient et améliorent de ce fait la qualité de l’alliance thérapeutique avec lui.
La deuxième est que le temps de débriefing est un apprentissage efficace pour initier aux dimensions réflexive et collégiale, et laisser de côté les rapports hiérarchiques, en favorisant la prise de parole au sein des unités de soin.
La troisième est que l’écriture des scénarios favorise l’analyse de la pratique professionnelle, permettant même des mouvements cathartiques chez les sujets.
CHAMPS THEORIQUES
Divers champs de connaissances sont propres à éclairer ces questionnements et ces hypothèses.
Tout d’abord celui de la sociologie. La sociologie des professions peut éclairer le rôle sociologique du médecin. Il s’agit d’analyser chez les étudiants en médecine la construction de leur autonomie et de leur légitimité, leurs pratiques, leur rôle dans les organisations. Les recherches sur la clinique de l’activité mettent en évidence le rôle du groupe, les défenses de groupe, le sentiment d’appartenance, les conditions de la coopération, divers éléments qui peuvent permettre d’analyser la constitution d’un « corps médical ». En faisant appel à la sociologie critique on peut aussi analyser la figure du médecin dans l’imaginaire social, qui par le fantasme de la légitimité scientifique dont il est revêtu, occupe une position dominante sur tout ce corps social. Enfin E. Goffman pour sa part, a développé la Métaphore théâtrale et mis en avant le concept de présentation de soi, envisagent la vie sociale comme une « scène » avec ses acteurs, son public et ses « coulisses ». L’apprentissage par la simulation doit pouvoir trouver là des concepts opérants.
Le champ de la philosophie morale. Il faut aborder la question du contenu de l’éthique en santé dont nous avons déjà parlé. Le débat est immense car il rejoint celui du statut de l’éthique au sein de nos sociétés et de l’opposition qui a émergée au cours de l’histoire entre l’éthique et la morale. L’éthique en santé est dominée par la classification commode de Childress et Beauchamp (Autonomie, Bienveillance, Non maltraitance, Equité). Leur ouvrage ouvre aussi de façon intéressante le champ de l’éthique des vertus, remise à l’honneur par Aldasair MacIntyre qui fournit des outils d’interprétation et d’analyse utiles à notre travail. Par ailleurs les travaux d’Avishai Margalit et d’Axel Honneth peuvent éclairer la question contemporaine de la reconnaissance, reconnaissance du patient articulée à la reconnaissance du soignant.
Le champ de la didactique. Il nous faut tenter de décrypter les mécanismes complexes de l’apprentissage. Le concept de transposition est particulièrement éclairant. En effet le savoir savant est un savoir décontextualisé et souvent coupé de son histoire. Il fait l’objet d’une transposition (recontextualisation, reproblématisation, voire redéfinitions) pour être enseigné à un niveau donné. Or en éthique le savoir est tout particulièrement associé à des savoir-faire et même des savoirs-être. La simulation n’est pas exempte de ce processus de transposition mais cherche en partie à en gommer les écueils d’abstraction et de généralisation, très éloignés d’une science pratique telle que l’éthique. La didactique professionnelle est aujourd’hui un champ en soi qui s’appuyant sur l’ergonomie cognitive pour analyser le travail, s’intéresse au développement des compétences du sujet, central dans la formation des étudiants en médecine. Les élaborations théoriques du modèle socioconstructiviste sont très pertinentes dans notre démarche enfin car dans la simulation la part active du sujet est majeure. Ses représentations, ses conceptions initiales ne sont pas seulement le point de départ et le résultat de l’activité d’apprentissage, elles sont au cœur de ce processus.
Dans ce travail à la confluence de la pédagogie et de l’éthique, le concept d’apprentissage par compétence intégrée développé par Jean Jouquan pourrait être mis en dialogue avec ceux de « pratique », « bien interne » et « vertu » chez MacIntyre. L’enjeu de cette recherche est plus de penser des référentiels de compétences intégrant la façon de penser les pratiques professionnelles éthiquement acceptables, plutôt que de considérer immédiatement des « référentiels de compétence en éthique ».
Dans le champ de la psychologie les domaines de recherche sont multiples. Ce type de formation relève au sein des facultés de médecine en partie de la psychologie médicale. Les ouvrages du psychiatre et psychanalyste Lucien Israël et la théorisation des groupes de parole entre médecins menée par Michael Balint sont à même de situer les enjeux psychiques que soulève l’exercice professionnel médical. L’outil de la simulation lui, interroge les sciences cognitives. Les théories socio-cognitives mettent en avant l’apprentissage par imitation : l’élève répète par imitation, il observe et analyse les étapes de la réalisation d’une action par quelqu’un de semblable avant de le copier, de faire soi-même la même chose. Ce processus est à l’œuvre dans le compagnonnage, étape importante de la transmission de l’art médical, tout spécialement au sein des facultés de médecine et des services hospitaliers en France.
La théorie de l’intelligence émotionnelle peut apporter aussi un éclairage. L’intelligence émotionnelle désigne « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres » (Mayer &Salovey, 1997). Le développement de l’empathie chez les étudiants, les freins et les résistances observés dans les jeux de rôle dans ce lâcher prise face au patient, tous ces mouvements psychiques pourront certainement être éclairés par cet outil théorique. Cette question de l’empathie, à distinguer de la sympathie et de la compassion est un concept clef dans l’actualité des recherches au carrefour entre cognitivo-comportementalisme, biologie et psychanalyse.
Du côté de la psychanalyse, il faut faire une place toute particulière à la psychanalyse de groupe. Ses apports permettent d’éclairer les effets transférentiels et contre-transférentiels dans le positionnement éthique du médecin et de l’équipe. Je souhaite reprendre les travaux de Serge Lebovici sur le Psychodrame analytique individuel, ainsi que les analyses d’Ophélia Avron sur le jeu scénique. La notion de catharsis est à l’œuvre comme nous l’avons déjà évoqué dans les processus d’écriture et de jeu. Des mouvements psychiques puissants (colère, régression, angoisse…), des éléments inconscients peuvent émerger dans les séances de simulation. Il s’agit de les contenir de façon souple, mais de ne pas faire non plus de ces temps des psychothérapies de groupe. Cet affleurement qui marque la levée des défenses est le gage d’une vraie transformation interne des sujets et des groupes.
Enfin la simulation en santé est l’objet d’un nombre grandissant de publication dans le domaine des sciences médicales.
METHODOLOGIE
Le développement de ma thèse se déroule en trois phases :
Contextualisation :
Je vais décrire l’importance de l’éthique médicale et passer en revue les méthodes utilisées dans le monde pour l’enseigner. Pour établir ce référentiel de compétences je reprendrai les textes de référence du contenu des études médicales et je ferai une revue de la littérature internationale sur ce domaine. En particulier je souhaite analyser l’utilisation actuelle au sein des facultés et des hôpitaux de la méthode de la simulation en santé.
J’interrogerai aussi des professeurs de médecine, des médecins en exercice, des étudiants en médecine. Je leur demanderai quelle est leur définition de l’éthique en santé, leur formation dans ce domaine, leurs expériences, leurs attentes…
Étude pratique :
Il s’agit d’évaluer de façon approfondie un programme d’études utilisant la simulation.
Je souhaite comparer les compétences « non techniques » des étudiants avant et après les séances de simulation à l’aide d’un questionnaire sur l’empathie et un autre sur la communication au sein du travail d’équipe, avec dans l’idéal un groupe témoin.
Par ailleurs vu que les séances sont filmées, je proposerai aux étudiants et aux formateurs une auto confrontation avec leur jeu de rôle et j’analyserai leurs réflexions sur un échantillon suffisamment représentatif.
Evaluation
Pour l’évaluation de cette méthodologie d’apprentissage de l’éthique je ferai appel à des experts, membres du département d’éthique de la faculté de médecine et du comité d’éthique du CHU (Espace Ethique Azuréen) pour les confronter aux séances de débriefing enregistrées et recueillir leurs réactions et leurs remarques.
Il s’agira aussi de déterminer des critères de généralisation de cette méthode d’apprentissage de l’éthique en milieux d’études de la santé : instituts de soins infirmiers, écoles de cadre de santé, école de sages-femmes, écoles d’aides-soignants etc…

Ce choix méthodologique d’interroger les divers acteurs présente la limite de travailler sur du déclaratif, avec toutes les distorsions et les défenses afférentes, comme l’ont montré diverses études de sciences sociales (cf. C. Rousseau). Quant à la confrontation aux images, des groupes de recherche en clinique du travail ont proposé des guides méthodologiques.
DEROULEMENT OPERATIONNEL
Pour déterminer un plan de travail suffisamment structuré, il est indispensable d’envisager, sur les trois ans de recherche le déroulement opérationnel.
Schématiquement, voilà la proposition d’organisation du travail.

Pendant la première année de thèse, j’ai relevé six objectifs opérationnels à concrétiser:
A. Mise en place d’une activité de recherche commune avec les enseignants-chercheurs sur Nice et d’autres universités dans ce domaine ; Rédaction et formalisation d’un plan de thèse ;
B. Développement et rédaction de la première partie de la thèse et notamment la recherche documentaire ;
C. Accroissement des connaissances, des techniques, des modèles d’investigation et des instruments méthodologiques à utiliser, notamment sur l’analyse des discours appliqués aux premiers entretiens.
D. Passation des entretiens avec les professeurs, les médecins, les étudiants en médecine.
D. Vérification et renforcement des hypothèses relatives à la deuxième partie de la thèse et choix définitif des outils expérimentaux.
E. Élaboration d’un document en fin d’année universitaire, en présentant de façon la plus détaillée et la plus précise possible les hypothèses, les sources et les méthodes de la recherche expérimentale.

Pour la deuxième année, les objectifs à moyen terme seront :
A. Collaboration, mutualisation des ressources et renforcement des liens avec les partenaires universitaires (Faculté de Médecine, Laboratoires de Recherche en Sciences Humaines de l’Université de Nice, Service des Urgences, IFSI de Nice, IFCS) ;
B. Développement et rédaction de la deuxième partie de la thèse ; vérification et analyse des hypothèses sur lesquelles la recherche expérimentale est fondée ; Analyse préliminaire et partielle des résultats.
C. Élaboration d’un document en fin d’année universitaire, présentant la planification de la troisième partie de la Thèse notamment les modalités d’évaluation et de généralisation.

Enfin, pour la troisième année, les objectifs opérationnels à terme seront :
A. Evaluation de la recherche ; Analyse et discussion des résultats ;
B. Développement et de la troisième partie de la Thèse. Finalisation rédaction définitive de la recherche;
C. Soutenance de fin de cycle d’études.
OBJECTIF A TERME ET ORIENTATION DU TRAVAIL
Je souhaite donc interroger l’idée selon laquelle la re-contextualisation des situations professionnelles vécues favoriserait l’apprentissage des questionnements éthiques. Dans le cas où cette hypothèse est vérifiée je souhaite mettre en évidence ce qui favorise une progression de ces approches.
Outre la formation initiale, des données utiles peuvent ressortir dans le domaine de la formation continue des professionnels de santé. Sans mettre de côté les formations institutionnelles qui sont dispensées au sein des structures de soins, la mise en place de plan de formations intégrant de façon systématique cet outil pédagogique pourrait être un levier d’amélioration du travail en équipe, de la prévention des risques psychosociaux, de la qualité de vie au travail, mais aussi d’une plus grande satisfaction des patients, souvent plus sensibles au premier abord à la qualité de l’accueil et de la relation qu’à la pertinence d’un diagnostic ou d’un traitement.
D’autre part une démarche de recherche scientifique dans ce domaine de la communication, du développement des capacités relationnelles, plus généralement du savoir-être, peut en partie s’appliquer à d’autres champs, dans d’autres métiers, où le service à la personne, la « relation client », la satisfaction des usagers sont au cœur du processus de travail. Les outils méthodologiques d’analyse de l’activité d’apprentissage, les écueils et les limites d’un dispositif de simulation, tout particulièrement dans ce domaine de l’éthique, pourront trouver je l’espère d’autres applications.
PROJET D’ORIENTATION
Ce doctorat de recherche représente pour moi la synthèse d’un double parcours humain, professionnel et universitaire : psychologue, formateur au sein du CHU et de la faculté de médecine et des instituts de formation pour les cadres et les infirmiers. À l’heure actuelle, après quatre ans dans le suivi des patients au sein des Urgences et la formation des professionnels de santé, je ressens la nécessité de partager, d’apprendre et de me confronter à des savoirs complémentaires. Le travail poursuivi me permettra d’évoluer, de renforcer et d’accroître mes compétences professionnelles et les faire valider par un diplôme de haut niveau.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
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Ethique et communication

Ethique et communication

Un enseignement d’éthique par la simulation en petits groupes de 10 étudiants de M1 (4eme année) a été mis en place depuis deux ans à la Faculté de Médecine de Nice. Le rôle des patients est tenu par des étudiants de théâtre de la Faculté des Arts. Les séances sont animées par des membres du Département d’Éthique qui assurent le débriefing des jeux de rôle. Il s’agit avant tout d’un débriefing réflexif : permettre aux acteurs de mettre des mots sur ce qu’ils ont ressentis, faire émerger dans le groupe des remarques, des voies de dégagement par rapport à la situation jouée dans le scénario.
Cette année le scénario était celui d’un patient refusant l’amputation pour artérite avec sur le plan thérapeutique aucune alternative à l’amputation .
Lors d’une séance une étudiante volontaire jouant le rôle du médecin a affirmé à l’animateur que d’emblée elle acceptait son refus d’amputation, selon le principe du respect du droit du malade.
L’animateur, médecin chevronné, a considéré que c’était une erreur et lui en a fait la remarque. Elle a alors reconsidéré ce qu’elle allait dire au patient.
Il se pose ici une question éthique et une question pédagogique. Et au-delà cela peut nous interroger aussi sur les profils de praticien parmi les étudiants.

Sur le plan éthique ce qui peut apparaitre c’est que dans ce cas le médecin pose a priori, sans avoir parlé au patient, son consentement à un refus de soin au nom de la liberté et de l’autonomie du malade. Le médecin qui animait la séance et qui l’a analysé après coup écrit : « « L’a priori  » du médecin est de communiquer au patient l’information la plus juste possible, à plus forte raison si dans son for intérieur il a une conviction liée à sa connaissance du problème qui s’avère ne pas être celle du malade. C’est son devoir donner le juste soin. »
Dans la Loi Léonetti, qui est basée sur le respect du droit du patient, en 3eme situation clinique évoquée, il y a « Le malade conscient et non en fin de vie qui refuse les soins ». Le médecin animateur commente : « Ce qui est proposé n’est pas du tout d’accepter ce refus de soins à priori, mais de tout faire pour lui expliquer que les soins vont lui apporter un plus , en rassemblant des arguments, en lui laissant une période de réflexion , et si nécessaire en faisant appel à un autre médecin pour argumenter dans le même sens. Et ce n’est qu’une fois que ces démarches ont échoué que l’on se plie à la volonté du patient et qu’on l’accompagne dans son choix. »
A la fin de la séance l’étudiante à la demande de l’animateur si elle avait toujours le même avis qu’en rentrant a répondu sans hésiter devant tous que non. Elle a estimé que cette position était beaucoup plus respectueuse du patient.
L’animateur de la séance conclut son propos : « Il n’y a pas d’ingérence dans le droit du malade, c’est au contraire un nécessaire éclairage et le partage d’une connaissance « scientifique » (qui n’est pas une certitude, cela va de soi) qu’il n’a pas, pour lui permettre de prendre sa décision finale, qu’il sera seul à prendre, en toute connaissance de cause. »
La position éthique est claire. Pour le médecin il s’agit d’informer loyalement le patient, l’éclairer dans son choix, respecter son autonomie, accepter que son choix soit contraire à son opinion ou sa conviction.
L’analyse de cette séance mérite cependant de se poser quelques questions.
L’étudiante voulait-elle laisser à son choix premier un patient qui ne souhaitait pas être amputé mais après cependant lui avoir exposé les risques encourus ? Est-ce qu’elle voulait valider le choix du patient sans discussion ou ne souhaitait elle pas plutôt ne pas chercher à le convaincre ?
Ces questions amènent à aborder deux points essentiels dans la formation à l’éthique, ceux de l’empathie et de la communication.

Des conflits opposent les équipes médicales et les patients avec les patients ou leur famille. On remarque c’est que le plus souvent des médecins animés des meilleures intentions, d’une excellente formation « clinique » et dotés d’une solide expérience qui font régulièrement face à ces difficultés.
De l’animosité, une froideur manifeste, une agressivité teintée de violence traversent certains échanges. Parfois on a l’impression que le patient ou sa famille se rendent au « souhait » du praticien car il a finalement baissé les armes mais qu’ils n’adhèrent pas au discours et qu’ils n’ont pas été convaincus par ses arguments. Ils ont finalement abandonné la partie ce qui laisse entrevoir des difficultés dans la compliance au traitement (… on estime qu’au moins 50 % des patients chroniques ne sont pas compliants ). Au bout du compte si le praticien peut estimer avoir sauvé le patient il en ressort insatisfait car l’alliance thérapeutique fait défaut. Le risque est qu’au cours du temps ce qui est une ingérence dans la vie du patient au prétexte de le soigner ne se renforce pour exclure pratiquement son point de vue.
Le problème réside pour une part certainement dans une méconnaissance des techniques de communication chez les étudiants en médecine. Tachons de le démontrer.
Dès son 1er stage l’étudiant est traversé par des sentiments forts… timidité face au patient plus âgé que lui, inquiétude par rapport à ses connaissances et son absence de compétences techniques, idéalisation de ses maitres, sidération devant la mort ou la situation de catastrophe etc… Plus les années passent plus la plupart des étudiants vont s’appuyer sur leurs connaissances « médicales » pour s’adresser au patient à l’instar de pas mal de médecins seniors – il y a là un curriculum caché – , leur permettant ainsi de se déprendre de leurs émotions avec pour corollaire de « s’enfoncer » dans la technicité, s’intéressant assez peu pour beaucoup aux sciences humaines. Des études montrent dans ce sens une capacité d’empathie s’effondrant chez les étudiants en médecine entre la 2eme et la 6eme année. C’est un mécanisme de défense classique dit de rationalisation face à l’angoisse, mécanisme inconscient il va de soi .
Incapable de repérer les émotions qui le traversent, de les nommer et les élaborer puisqu’il ne l’a pas appris, le jeune étudiant va devenir incapable de repérer les sentiments chez son patient. La théorie des neurones miroirs peut éclairer ce phénomène. Ils joueraient de fait un rôle dans la cognition sociale, notamment dans l’apprentissage par imitation, mais aussi dans les processus affectifs, tels que l’empathie. Il est important de souligner avec le philosophe Pierre le Coz la place centrale des émotions pour développer des capacités éthiques, c’est-à-dire d’être capable de respecter le patient .
Un paradoxe surprenant peut même être observé durant ces séances de simulation : ceux qui sont les plus directifs sont parmi les plus empathiques.

A partir de ces deux critères on pourrait dégager 4 catégories d’étudiants :

Empathique Pas Empathique
Communiquant A B
Pas Communiquant C D

A : très adaptés ils sont appréciés des patients et des soignants. Ils ont une distance professionnelle qui leur assure de ne pas être embarqués dans la relation avec le patient ou sa famille. Un nombre non négligeable d’entre eux ont connu semble-t-il de près la maladie pour eux même ou leurs proches et ont été bien accompagnés.
C : Deux catégories. Ceux qui fusionnent avec le patient ( c’est le mécanisme inconscient d’identification projective pour dégager l’angoisse suscité par la relation chargé d’émotion avec le patient). Ils se noient dans leurs sentiments et sont souvent de piètres cliniciens.
Et ceux qui sous prétexte de vouloir le bien du patient ne l’écoutent pas (le temps moyen de parole accordé à un patient avant qu’il ne soit interrompu par le spécialiste consulté est de 23 secondes ). C’est la catégorie largement majoritaire évoquée ci-dessus. C’est celle certainement qui a la plus grande marge de progression et qui peut bénéficier de ces formations à la communication.
B : Ils ont compris les stratégies pour que le patient soit satisfait. Ils déclinent l’information au patient sans affect marqué et terminent en le laissant à son choix sans que le résultat les affecte. Caricaturalement c’est le docteur Knock.
C : Pour le dire avec humour ils choisissent majoritairement des spécialités qui les tiendront le plus possible éloigné du contact avec le patient
Quel enseignement pertinent proposer alors à ces étudiants ?
La solution peut résider en partie dans ces dispositifs d’apprentissages par le biais de simulation et dans leur contenu didactique.
Ce contenu est précisément l’attitude éthique faite de capacité d’analyse, d’esprit critique, de réflexivité, cette compétence qui fait qu’en situation on est capable d’écoute, d’émotion, de discernement. Tout cela s’exprime dans les orientations que nous avons donné aux étudiants pour les aider à débriefer .
La communication n’est pas ici un outil secondaire.
Une des idées force est de se concentrer sur la première minute de « l’entretien à forte charge clinique ». Idéalement pluri professionnel et préparé à l’avance par un briefing. Accueil, regard dans les yeux, décliner son identité et sa fonction, serrer la main, s’asseoir, poser une question ouverte (qu’est ce vous avez compris ? Je vous écoute… etc…), ne pas interrompre la patient, explorer son motif réel de consultation, ses représentations de la pathologie, de la situation, ses inquiétudes au sujet de cette pathologie (perte autonomie, conséquence esthétique, incidence sur ses proches…) le retentissement émotionnel et le contexte en résumé, et enfin reformuler ces informations. A l’hôpital les autres professionnels présents (IDE essentiellement, mais aussi cadre, Assistante sociale, aide-soignante, psychologue etc… invités à participer en fonction des circonstances) interviennent brièvement mais efficacement. Ainsi les préoccupations sociales, psychologiques, spirituelles sont orientées vers des professionnels adéquats, du moins une proposition en est faite. Au terme de cet exercice de communication réussie, le patient se sent écouté. Le temps de cet exercice varie sensiblement en fonction de la situation et de la charge émotionnelle mais il n’est pas non plus un puits sans fond. L’alliance thérapeutique est nouée, l’entretien diagnostique, d’annonce, etc… peut commencer. Le patient s’est senti (émotion) écouté, il est prêt à tout entendre. Ou presque. Le praticien peut lui donner les arguments qui militent en faveur de tel ou tel choix thérapeutique qui lui semble le plus adapté, cette insistance ne sera pas vécue comme une ingérence mais comme une suite de cette bienveillance qu’il a cru percevoir au début de l’entretien.
Ceux qui ne sont pas empathique et pas communiquant peuvent en bénéficier et faire que leurs interventions auprès des patients soient mieux vécues par tous.

Pour revenir au cas de cette étudiante face à la question de l’amputation, dans la logique de la classification en catégories A B C D, cette jeune femme pourrait relever selon l’animateur du profil B ou D.
La question est d’ordre éthique. L’objectif est de lui faire prendre conscience de la nécessaire conviction clinique et du danger d’une trop grande neutralité.
Mais la question est aussi d’ordre pédagogique. En simulation les enseignants cherchent surtout à comprendre les processus de pensée des étudiants et s’attachent secondairement aux attitudes, aux comportements, aux paroles.
Ce qui semble plus formateur est de laisser jouer l’étudiant à partir de ce qu’il a imaginé puis dans le débriefing de l’interroger sur son jeu. S’il est allé au bout de sa logique de neutralité on va l’interroger sur ses représentations mentales au sujet de son rôle propre, on va investiguer chez le patient ce que cette attitude a engendré et de fait on peut alors éclairer l’étudiant à partir de la loi Léonetti.
Peut-être aussi qu’à l’origine il voulait valider le choix du patient mais que des éléments dans l’entretien l’ont détourné de cet objectif. Là encore on va chercher à comprendre le processus, les émotions en particulier qui l’ont traversé.

Au final l’enseignement d’éthique dispensé à ces jeunes étudiants s’oriente vers un préalable essentiel, celui de savoir communiquer efficacement. Deuxièmement il vise à développer la sensibilité éthique en rendant sensible l’étudiant aux émotions du patient et à ses propres émotions. Enfin il a pour objectif de mettre en place chez les individus et dans les collectifs de travail une réflexivité qui permet d’interroger l’agir au quotidien pour le rattacher toujours à la question du sens.

Annexe1 : Monsieur L., 71 ans

Adressé pour plaie du pied droit.
En fait, il s’agit d’une cellulite à point de départ sur un mal perforant plantaire.
Le patient a de très lourds antécédents :
– vasculaires : – insuffisance coronarienne, ayant bénéficié d’angioplastie
– artérite des membres inférieurs : plusieurs angioplasties, et amputation d’orteils au pied gauche
– HTA
– respiratoires : – tabagisme sevré
– emphysème pulmonaire
– syndrome d’apnée obstructive du sommeil appareillée
– néoplasiques : cancer de la vessie, traité par cystectomie avec urétérostomie bilatérale.
Les clichés mettent en évidence une atteinte osseuse.
Le chirurgien vasculaire recommande une amputation.

Le patient refuse toute amputation. Il ne veut plus d’intervention. Il s’estime très diminué et souhaite rentrer mourir sans souffrir chez lui. Le psychiatre consulté confirme une dépression réactionnelle justifiant un traitement ambulatoire. Le patient est tout à fait capable de discernement.

Ses enfants insistent pour que Monsieur L. accepte les soins hospitaliers.
La prise en charge dans le service a consisté en :
– soins locaux
– antibiothérapie parentérale (mais relayable per os)
– morphine par voie orale
– anti dépresseur type ISRS
– adaptation et poursuite du traitement personnel

Thème : discussion entre médecins (interne + senior) et Monsieur L. et sa famille (1 enfant) sur la pertinence de la poursuite des soins hospitaliers.
Documents disponibles : clichés osseux montrant l’atteinte osseuse.

Annexe 2 : Débriefing

Servez-vous des questions pour aborder ce qui vous a semblé intéressant ou surprenant dans cette séance de simulation. Lisez ces questions avant le début de l’exercice. Il s’agira de débriefer à la fois le jeu de rôle mais aussi sa mise en place au sein du groupe. Pour cela observer vous vous-même ainsi que les autres participants.

1. Quelles émotions, quels sentiments avez-vous éprouvés pendant le jeu de rôle?

2. Comment s’est passé la première minute de l’entretien : position des acteurs, 1eres paroles prononcées, première question ?

3. Quels ont été comportements et les paroles qui vous ont marqué ? Par exemple le regard, le silence, les questions ouvertes, l’interruption du discours de l’interlocuteur, la reformulation des propos…

4. Quel était votre objectif dans l’entretien? Avez-vous le sentiment qu’il a été atteint ?

5. Vous êtes-vous senti écouté ? Entendu ?

6. Entre professionnels de santé y a-t-il le sentiment d’avoir œuvré ensemble ? Pourquoi ?

7. Une tension s’est-elle dissipée ? a-t-elle persisté ? a-t-elle vue le jour ? Pourquoi d’après vous ?

8. Que pourriez-vous faire de manière différente la prochaine fois ?

9. Dans l’activité réelle: Quels parallèles pouvez-vous faire avec le travail quotidien?

L’aventure PercEval

Apprendre à Percevoir ses émotions, Apprendre à Évaluer une situation

Formation en éthique des étudiants en santé par la simulation

La simulation outil d’apprentissage de l’Ethique en santé
La simulation en santé est une méthode pédagogique active dont le but est de recréer des gestes techniques et des situations professionnelles des soignants dans un environnement réaliste.
Il s’agit la plupart du temps d’acquérir des gestes techniques seuls dans le domaine de l’obstétrique, de la chirurgie ou de la médecine d’Urgences ou bien de se former au raisonnement diagnostique sans prendre en compte le contexte émotionnel du patient ou du soignant. Des situations cliniques simples ou complexes, habituelles ou exceptionnelles peuvent être mises en œuvre dans des jeux de rôle .
Or la prise en charge globale du patient et de ses proches n’est pas seulement de l’ordre du savoir faire, de bonnes pratiques automatisées, mais aussi d’un savoir être, celui de la relation interpersonnelle entre deux personnes humaines.
Par une Simulation dite Vivante on peut à travers un scénario recréer la réalité (salle d’opération, box d’Urgence, etc…) et confronter l’élève à un patient et à son environnement. A côté de l’apprentissage des connaissances techniques et scientifiques en simulation, il convient dans la mesure du possible d’ajouter l’évaluation des capacités de l’étudiant à entrer en contact avec le malade, sa famille, le reste de l’équipe soignante. Des scénarios peuvent par ailleurs mettre en scène ces seuls éléments de soins relationnels.
On rejoint alors la double tâche de tout soignant, médecin, infirmière, aide soignante etc… : soigner et prendre soin.
Dans ce champ des compétences non techniques la simulation permet particulièrement de former un grand nombre de professionnels amenés à travailler ensemble.
Quatre domaines clés de la vie de l’équipe sont classiquement repérés : la communication, la capacité à être leader, le contrôle mutuel de la situation par chacun des membres de l’équipe, l’entraide au cours de l’action. Il s’agit d’apprendre ici de bonnes procédures pour diminuer les erreurs possibles au cours de l’action commune.
Plus encore jouer son propre rôle de soignant c’est être renvoyé parfois à son ignorance, ses limites, ses angoisses peut être, sa toute-puissance… cet outil pédagogique a donc l’immense avantage de faire prendre conscience aux étudiants de la charge émotionnelle de certaines situations de travail, de leur permettre de repérer éventuellement certains blocages dans leur approche decertains patients ou de certains modes de management par exemple et de disposer ainsi d’un moyen d’évaluation fiable au cours de leurs années d’apprentissage. Il en va de la qualité de vie au travail des professionnels de santé, de la prévention des risques psychosociaux chez les étudiants et les futurs professionnels et aussi bien sûr en tout premier lieu de la qualité des soins délivrés . Ce qui aura été travaillé en simulation ne sera jamais vécu de la même façon par la suite.
On est là dans l’apprentissage de l’Ethique quotidienne. En effet l’Ethique regarde le comportement du professionnel de santé en tant qu’il est humain, c’est-à-dire à la jonction de sa raison, son psychisme, son corps. Communiquer avec le patient, sa famille, respecter son intimité, ses convictions, accueillir la grande précarité, le handicap sans discrimination ou pour un responsable faire face à un conflit au sein d’une équipe, annoncer la maladie grave, la mort, aborder les questions financières avec son patient… l’Ethique, loin d’être une science ésotérique et absconse, constitue ces réflexions profondes en situation qui sont au cœur des compétences relationnelles de tout soignant.
Durant ces séances de simulation l’animateur et l’enseignant qui encadrent les étudiants sont garants du cadre de confidentialité, de bienveillance nécessaire à ce type d’apprentissage . L’animateur réalise un débriefing réflexif à partir des émotions ressenties permettant au groupe de faire ensuite émerger des solutions possibles de dégagement dans la situation jouée. L’enseignant réalise un débriefing normatif sur les aspects techniques du métier.
Ces situations simulées sont habituellement filmées pour être mieux débriefées, afin de repérer en particulier la communication non verbale. Ce temps de débriefing est le moment pédagogique clé de ces séances.
Très vite une triangulation vertueuse se met en place entre les apprentissages théoriques des pathologies, leurs approches sur les terrains de stage avec des patients bien réels et les séances de simulation.

L’Aventure PercEval :
Perception de ses émotions & Evaluation d’une situation
– Le but
Perceval dans le Roman de la Table ronde est le Chevalier du Roi Arthur qui est le seul à atteindre le Graal. Celui de la connaissance de soi, celui de la maîtrise de son destin, celui de tenir sa place dans la société des Hommes.
Cette méthode pédagogique vise un apprentissage de la relation Humaine en situation professionnelle par le biais d’un programme spécifique mêlant analyse de la pratique, perception de ses émotions, recherche en groupe de stratégies, apprentissage de la réalisation de films pédagogiques.
PercEval est une aventure car cette méthode d’apprentissage s’intéresse à la personne et à la dynamique du travail d’équipe en engageant la personne dans un travail sur soi pour contribuer à son épanouissement.
Deux dispositifs sont possibles, avec ou sans l’utilisation d’une tablette numérique pour réaliser une vidéo.

– Les objectifs généraux:
o Développer le sens de l’organisation dans le travail
o Améliorer les capacités de communiquer dans le travail d’équipe
o Faire progresser la confiance en soi
o Apprendre à utiliser ses erreurs
o Faire face au stress de façon suffisamment adaptée

– Objectifs spécifiques :
o Mettre des mots sur ses émotions
o Analyser sa pratique en groupe de travail
o Etre capable d’écrire une vignette clinique en Ethique
o Apprendre à briefer (communication claire, éléments essentiels)
o Faire l’expérience de ses propres émotions en situation de stress
o Participer à un débriefing
o S’initier à l’utilisation de la vidéo comme outil de formation en santé

– Description
o Présentation de la méthode de réalisation d’une vidéo via l’Ipad (40’)
o Ecriture des scénarios en groupes (30’)
o Briefing d’un briefeur aux acteurs d’un autre groupe (5’ par groupe)
o Jeux de rôle filmés (7’ par groupe)
o Débriefing par l’animateur et l’enseignant (10’ par groupe)
o Présentation d’éléments théoriques (20’)
o Montage des vidéos (40’)

– Aspects techniques :
L’utilisation de la vidéo lors de ces simulations est intéressante pour plusieurs raisons.
o Elle apporte un côté ludique et technique à l’aspect théâtral ce qui a pour avantage de démystifier quelque peu le jeu de rôle.
o Elle permet de prendre une certaine distance par rapport au sujet, distance qui sera nécessaire lors du débriefing.

o Elle donne la possibilité d’uploader les vidéos produites sur un site d’e-learning.
Faciles et intuitives de prise en main et d’utilisation, les Ipads et le logiciel IMovie, sont un vrai atout pour mener à bien un projet de cette nature. Les étudiants sont briefés sur les différentes techniques de filmage et les notions de séquences afin d’optimiser la partie montage en terme de qualité et de temps.

Au final cette méthode pédagogique répond aux trois A Acceptable, Accessible, « Affordable » :
Tout en permettant à chacun de parler de ses réactions émotionnelles, l’intimité est respectée ; La méthode est facile à mettre en place pour tout public; elle est peu couteuse.

L’éthique au sein d’une équipe de soin: pour la recherche d’une éthique du talent

Il apparait que l’éthique médicale se situe aujourd’hui très largement dans une dialectique entre la Loi et la Liberté, et dans une opposition assez pauvre entre éthique de conviction, qui serait basée sur des certitudes morales, et une éthique de responsabilité évaluant avec doute et précaution les conséquences de nos décisions.
Le risque est de réduire les questions éthiques aux choix de conscience en situations extrêmes : début et fin de vie, maladies dégénératives en perte d’autonomie, grossesse pour autrui ….Or ce qui regarde le vivre ensemble, le travail collectif, la construction d’une équipe de soin efficace, qui relèvent du « management », de la formation institutionnelle, et du développement personnel …sont tout autant du domaine de l’éthique , et de l’éthique au travail !
Une vision plus large de l’éthique doit appréhender le comportement du professionnel dans sa dimension humaine globale, c’est à dire au carrefour de son corps avec sa raison, son psychisme, sa spiritualité.
Communiquer avec le patient , sa famille, respecter leur intimité, leurs convictions, accueillir sans discrimination la précarité et le handicap… font partie de ce « tout humain » nécessaire à la pratique du soin. Pour un responsable, faire face à un conflit au sein d’une équipe, annoncer la maladie grave, la mort, aborder les questions d’argent avec son patient….autant « d’éthos » (comportements) qui nécessitent de la part de tous : soignants,patients, familles, une information franche mais parfois incertaine et une communication respectueuse, bienveillante, supportable mais vraie. C’est la garantie d’une décision libre et partagée dans le respect mutuel.
Aristote décrit l’homme comme un animal « politique », c’est à dire fait pour vivre au sein de la communauté des « hommes », dont il tire sa propre humanité. De façon générale, par notre travail, nous nous rendons mutuellement service. Au cœur de la rencontre avec l’autre dont le visage est unique, mais qui es « homme » lui aussi, se réalise notre épanouissement …tout autant que le sien. C’est dire si notre vie humaine est par essence une vie sociale, une vie dans et par l’autre.
Or ces relations de personne à personne, éminemment subjectives, difficilement mesurables, peuvent etre ignorées par des systèmes cherchant à établir une quantification du « travail » dans un souci purement économique. Le risque est grand , sous prétexte de recherche de la « qualité des soins » réduite de fait à un « hygiénisme matériel et intellectuel » de tomber ( et d’entrainer l’équipe avec soi ) dans un enfer relationnel et managerial pavé de bonnes intentions.
Laurent Degos, ancien président de l’HAS disait : « Aujourd’hui, on crée des protocoles pour tout . Il existe des protocoles pour des contrôles,des contrôles de protocoles, des contrôles de contrôles,….ce qui conduit à une déresponsabilisation des professionnels. Il faut redonner la possibilité d’anticiper, et valoriser l’esprit d’équipe et le talent  »
… C’est à dire faire s’exprimer les talents au sein de l’équipe, dans une démarche individuelle et collective, qui peut alors assumer sa responsabilité humaine et soignante.
Alain Percivalle